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Tellier, ni le chancelier Séguier, n’ignoraient les plans de résistance auxquels, dans les conversations d’un certain monde, les fortifications de Belle-Isle servaient de texte depuis trois ans. L’on ne peut expliquer que par de telles appréhensions le secret impénétrable dont s’enveloppa Louis XIV et les précautions minutieuses dont il crut devoir faire précéder l’acte du 5 septembre 1661, qui ne rencontra pas d’ailleurs l’ombre d’une résistance. Le voyage de Bretagne, habilement dissimulé sous la convenance de visiter une grande province, fut inspiré, comme le roi a pris soin de l’apprendre à la postérité, par la pensée de se trouver sur le théâtre des événemens, si le possesseur du marquisat de Belle-Isle et du duché de Penthièvre osait oublier, lorsqu’on porterait la main sur lui au nom de sa majesté, que Richelieu en avait fini avec les grands, et qu’en France la royauté était à toujours hors de page.

Louis XIV porta dans la perpétration de cet acte une surabondance de ruses et de tromperies italiennes où l’on retrouve comme un dernier écho des leçons de Mazarin. Jamais il n’avait comblé le surintendant d’attentions plus délicates, ne lui avait témoigné une confiance aussi intime que pendant le voyage entrepris pour mieux assurer sa perte. L’emprisonnement de Fouquet pouvait sans doute réclamer des mesures de prudence, mais il n’autorisait ni les mensonges ni les caresses, d’ailleurs fort inutiles, dont le roi crut devoir faire précéder une résolution naturelle et légale. Lorsqu’on réfléchit à l’orgueilleuse complaisance avec laquelle ce prince s’arrête sur cet épisode de sa vie, il semble qu’il ait plutôt songé à s’y donner à lui-même, en matière de secret, la mesure de ses propres forces qu’à proportionner les précautions aux périls. Fouquet marchait en effet vers l’abîme avec la plus aveugle confiance. Très agité, avant de quitter Paris, par les rapports de ses nombreux agens, il avait repris toute sa sérénité en recevant, durant le séjour à Nantes, des témoignages presque sans exemple des bontés du roi. La veille du jour où d’Artagnan mit la main sur lui, au moment même où la ville de Nantes se remplissait de troupes dont personne ne s’expliquait la mystérieuse destination, le surintendant, pour ne point paraître étranger aux desseins de son maître, avait la fatuité impudente de déclarer au secrétaire d’état Brienne, envoyé le matin par le roi pour prendre de ses nouvelles, car Fouquet était alors malade, que ces troupes avaient été mandées pour assurer l’arrestation de Colbert, et qu’il venait lui-même de donner des ordres à Pélisson afin