Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec un naturel si achevé qu’il finit par s’identifier avec lui; ce fut un acteur affolé sous les applaudissemens, à peu près comme Talma, si un soir il s’était cru empereur romain.

Sa carrière avait été aussi facile que rapide, car, jusqu’au jour de la catastrophe qui le tint si longtemps en présence de l’échafaud, aucun obstacle ne s’était élevé sur sa route. A trente-cinq ans, il avait obtenu l’agrément de la cour pour acquérir, moyennant une finance considérable, la charge de procureur-général au parlement de Paris, devenant presque l’égal de Matthieu Molé et le supérieur hiérarchique d’Omer Talon et de Jérôme Bignon, sans approcher jamais d’aucun d’entre eux ni par l’éloquence ni par l’autorité. Plus spirituel qu’instruit, moins légiste qu’administrateur, Nicolas Fouquet ne goûtait de la vie du palais ni les mœurs sévères, ni les fortes études. Resté un mazarin dévoué, quoique prudent, au plus fort de la crise, le procureur-général, placé à la tête de la grande compagnie qui venait de former le noyau de la première fronde, dut déployer, pour s’y faire accepter et pour y servir le ministre proscrit avec lequel il entretenait des relations assidues, des qualités qu’en stricte morale il faudrait appeler des défauts. Le service capital à rendre dans ces périlleuses conjonctures à la royauté et à sa propre fortune, c’était de séparer le parlement du parti des princes et de briser celui-ci en concourant à élever une barrière entre le faible duc d’Orléans et l’impétueux prince de Condé. Nicolas Fouquet n’y travailla pas moins assidûment que son frère : pendant que l’un lançait ses agens dans les cabarets et dans les boudoirs, l’autre réconciliait secrètement avec la cour les présidens ou conseillers qu’il importait de s’assurer, tarifant leur importance et leurs services avec une précision qui confondrait, si l’on ne savait combien les capitulations de conscience sont faciles au déclin et dans la faiblesse des partis.

Le procureur-général, qui tâtait chaque jour le pouls de messieurs, et qui voyait la peur tout près de remplacer la colère, décida par ses conseils, en juillet 1652, la translation du parlement à Pontoise, mesure très opportune qui porta le dernier coup à la fronde en arrachant les magistrats à la pression qu’exerçaient sur eux l’armée des princes et la populace, associées pour une résistance désespérée. Lorsque les violences populaires eurent fait sonner l’heure de la réaction, Fouquet demanda vivement la rentrée du roi dans sa capitale désabusée, et sut obtenir de l’impatience de Mazarin un court ajournement à son retour triomphal. Ni lui, ni son frère, qui avait joué dans ces négociations secrètes un rôle plus actif encore que le procureur-général, ne s’oublièrent, comme on le pense bien, au jour de la victoire, chose fort légitime à une époque où tant d’en-