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que le drapeau de la patrie, les parlemens, qui, sans avoir le goût de la liberté, avaient l’horreur profonde du despotisme, la bourgeoisie, ruinée par la banqueroute de 1648, un peuple décimé par la famine, toutes les forces vives de la nation réunies dans la résistance, sans savoir d’ailleurs quelle direction lui imprimer, ne rencontraient donc en face d’elles qu’une princesse très faible comme femme, très inexpérimentée comme reine, appuyée sur des conseillers dont le pays ne connaissait pas même les noms, puisque la haine publique n’en laissait arriver qu’un seul jusqu’à lui. Les principaux de ces agens, sortis des cours de justice, de l’intendance et du négoce, s’appelaient Le Tellier, Servien, Lyonne, Colbert et Fouquet.

Les hommes admis durant la minorité de Louis XIV dans le conseil dirigé par Mazarin avec une omnipotence qui, après la rentrée de ce ministre dans Paris, égala celle de Richelieu, ont eu une destinée politique à peu près semblable, et telle qu’il était naturel de l’attendre pour chacun d’eux. Après le radieux épanouissement de l’autorité royale, ces serviteurs éprouvés du principe au triomphe duquel ils avaient si ardemment concouru profitèrent largement de sa victoire, mais ce fut en demeurant jusqu’au bout fidèles à eux-mêmes et à la foi de leur jeunesse. Une seule exception se présente, et c’est en vain qu’on chercherait à l’expliquer soit par les intérêts, soit même par les passions de l’homme qui la fournit à l’histoire. Le surintendant, qui avait été, avec l’abbé Fouquet son frère, l’un des serviteurs les plus dévoués de l’autorité royale tant que celle-ci errait de ville en ville, et tant que Mazarin, chassé du royaume, habita Brühl et Cologne, se jeta, le jour même où le triomphe du pouvoir ne laissait plus aucune sorte de chance aux factions, dans des pratiques et des poursuites tellement insensées qu’il ne put lui-même les excuser devant ses juges qu’en les qualifiant de ridicules et d’extravagantes. Enivré par le succès, il eut l’étrange idée de relever une cause à jamais vaincue, et qu’il avait combattue aussi résolument que personne. A la veille de la paix triomphale des Pyrénées, lorsque le grand Condé rentrait modestement en France en s’inclinant comme un coupable sous le pardon de la royauté, on vit le petit-fils d’un négociant nantais aspirer à reprendre en sous-œuvre la tentative de rébellion qui avait imposé durant dix années au vainqueur de Rocroy l’existence d’un Coriolan : étrange retour vers le passé inspiré par la fatuité romanesque qui fut le trait original de la physionomie de Fouquet et l’écueil de sa déplorable carrière.

Issu d’une famille enrichie par le commerce maritime, élevé par un père qui, après avoir acheté une charge de magistrature à Rennes, exerçait à Paris de hautes fonctions administratives durant le ministère de Richelieu, Nicolas Fouquet appartenait par tous ses intérêts