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les causes importantes, et, par cela même que son contrôle s’étend si loin et sur des matières si différentes, il risque d’être le plus souvent illusoire. Là où ses membres s’entendront entre eux et où il aura à sa tête quelque homme actif et capable, le medjilis prendra une influence prépondérante ; ailleurs, divisé ou dominé par quelques beys ligués avec le mudir ou le cadi, il se verra paralysé et réduit à rien. Enfin j’ai eu beau interroger plusieurs membres des medjilis, Turcs et chrétiens : je n’ai jamais pu découvrir dans quel cas les décisions de ces conseils avaient force de loi, dans quel cas au contraire ils ne pouvaient qu’émettre des vœux et donner des avis, quand ils avaient l’autorité d’un tribunal souverain, ou quand ils étaient réduits au rôle de consulte. Je crois vraiment que les conseillers auxquels je me suis adressé n’en savaient rien eux-mêmes.

Voici comment se passent à peu près les choses à Angora. Les conseillers turcs sont désignés par le pacha d’Yusgat, vali ou gouverneur-général de la province, et c’est lui aussi qui nomme le président, toujours un Turc. Les membres des autres cultes sont désignés par le chef religieux de la nation : les chrétiens par leur évêque, le Juif par son rabbin. Ce ne sont pas en général, parmi les raïas, les primats que l’on envoie au medjilis, mais plutôt un homme du second rang, un bourgeois de fortune moyenne. Je m’en étonnai. « Il me semble, dis-je à l’évêque catholique qui me donnait ces détails, qu’un primat influent et puissant par sa richesse, comme le sont ici quelques-uns de vos gros fermiers des dîmes, parlerait avec plus d’autorité, qu’il mettrait dans ses paroles plus d’énergie, que ses réclamations et ses avis auraient plus de chance d’être écoutés. — Non, me répondit-il, le député au medjilis ne doit pas porter la parole en son propre nom, mais au nom de sa nation. Un homme qui par lui-même a peu d’importance s’acquitte mieux de ce rôle de mandataire. Les primats craindraient, en portant au conseil des paroles trop vives, de se compromettre personnellement, de se brouiller avec telle autorité turque qu’ils ont intérêt à ménager. Par l’intermédiaire du député que protège son insignifiance personnelle, et que l’on ne prend que comme l’interprète de sa nation, comme un porte-voix, on fait bien plus librement dire tout ce que l’on tient à faire entendre au conseil. » C’est un mécanisme assez complexe, on le voit, mais dont le jeu est facile à saisir pour quiconque connaît un peu le pays. Dans les circonstances graves, lorsqu’il s’agit de quelque détermination importante à prendre, il y a ce que l’on appelle buyuk medjilis, grand-conseil, et alors la réunion est bien plus nombreuse : on y appelle les chefs religieux des différentes nations et leurs personnages les plus considérables.

Il n’y a d’ailleurs, pour choisir le député au medjilis et définir son mandat, pas d’assemblées générales de la nation, ni d’élections