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d’Angora, la plus pauvre de beaucoup et celle qui jouit de la moindre considération, ce sont les Israélites. Presque tous vendent au bazar de la quincaillerie et des verroteries communes, du papier, des plumes, des crayons et autres menues marchandises de fabrique européenne. Il n’y a chez eux ni richesse ni même aisance, mais ils me paraissent moins misérables pourtant que les Juifs de Brousse. Il est d’ailleurs très difficile de rien savoir de leurs mœurs et de leur vie domestique. Les autres groupes. Turcs, Arméniens unis ou non, Grecs, ont entre eux de continuelles relations, et accueillent volontiers l’étranger; les Juifs au contraire vivent tout à fait isolés, et personne ici ne peut me parler des fêtes qu’ils célèbrent dans leur synagogue et derrière la porte close de leurs maisons; personne ne sait rien de ces traditions antiques, de ces usages originaux que les Juifs d’Orient conservent avec une si prodigieuse ténacité. Les malades juifs sont les seuls qui ne se présentent pas aux consultations gratuites que donne tous les jours le docteur, les maisons juives sont les seules où il ne soit pas appelé pendant les deux mois et demi que nous passons à Angora. Est-ce aversion pour les chrétiens, de qui ces malheureux sont habitués à n’attendre que des dédains et des injures? Est-ce crainte de se voir repoussés ou accueillis avec des paroles méprisantes? Malheureusement aucune occasion ne s’offre à nous, pendant notre long séjour, de détromper ces pauvres gens, dont nous ne comprenons que trop bien les défiances, et de leur faire sentir que nous sommes les fils et les envoyés du seul pays peut-être qui ait encore accordé aux Juifs une égalité complète devant la loi et devant l’opinion, et qui leur ait en quelque sorte demandé pardon des odieux traitemens que leur a prodigués la barbarie du moyen âge.

Hors les Juifs, qui sont trop pauvres pour se passer cette fantaisie, tous les habitans d’Angora, musulmans ou chrétiens, riches ou pauvres, ont leur maison de campagne, leur vigne, comme on dit ici, sur quelqu’une des collines environnantes. Les villas des riches négocians grecs, situées presque toutes vers l’est de la ville, ont été reconstruites à neuf depuis quelques années, et sont décorées de gravures, de glaces, de beaux tapis; devant la maison, au milieu d’une cour dallée tout entourée de fleurs, sous une large treille, une fontaine, ornée quelquefois avec assez de goût, alimente un bassin d’où jaillit, dans les grandes occasions, quelque mince jet d’eau. Aux quatre angles du bassin se dressent presque toujours de petits lions de marbre blanc assez grotesques, que l’on regarde à Angora comme le dernier mot de l’art, et que l’on fait venir tout exprès de Constantinople, ainsi que les vasques des fontaines. Malheureusement les sources sont rares aux flancs arides de ces col-