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égards au dévouement de notre excellent docteur, qui les a soignées sans demander aucun salaire. Le commerce de détail, dont vivent presque tous les Arméniens, leur donne je ne sais quel instinct de tromperie, le goût des petites fraudes et des étroites lésineries. Souvent aussi ils manquent de ce savoir-vivre qui ne s’enseigne pas, de cette politesse naturelle dont le cœur fait les frais. Les Grecs au contraire sont à Angora ceux qui font le commerce le plus en grand, et par suite qui le font le plus loyalement ; ce sont eux aussi qui dépensent le mieux l’argent qu’ils gagnent, et qui paraissent le plus sensibles aux services rendus. Il y a chez eux plus d’union et d’entente, moins de mesquines jalousies que parmi les catholiques : avec autant de liberté dans la vie domestique et les relations sociales, ils ont peut-être plus de sérieux dans l’esprit ; ils sentent mieux la nécessité de l’instruction pour les laïques, et font plus de sacrifices pour l’assurer à tous les enfans de leur communauté. Sans parler de l’école mutuelle que suivent tous les enfans des deux sexes, ils ont établi une école hellénique, dirigée par un maître appelé tout exprès de Constantinople, et qui paraît à la hauteur de sa tâche. Là, tous les enfans qui le désirent trouvent une sorte d’enseignement secondaire où figure au premier rang l’étude de l’histoire et de la langue grecque. La génération qui s’élève maintenant saura tout entière parler le grec. On a même, ce qui est plus rare en Orient, songé à l’éducation des femmes, et l’évêque grec m’assure qu’il s’occupe de faire venir à leur intention une institutrice instruite et capable.

Cet évêque, à qui le docteur et moi avons fait plusieurs visites, au grand étonnement des catholiques nos hôtes, paraît intelligent. C’est un homme d’une quarantaine d’années, originaire de Bergamo, l’ancienne Pergame. Il parle très bien le grec, mais il sait fort mal l’histoire, et n’a pas la moindre idée de l’époque où vivait Auguste. En revanche, il est assez au courant des affaires de ce monde ; il s’intéresse à la politique occidentale, et naturellement toutes ses sympathies sont pour les Italiens. Il me demande, d’abord avec force ménagemens, et non sans un certain embarras, ce que devient, ce que deviendra le pouvoir temporel du pape ; puis, quand il voit que je n’y tiens guère plus que lui, il m’expose ses idées plus franchement : il me dit combien le pouvoir temporel est contraire à l’Évangile. On sent chez lui une joie contenue quand il parle des malheurs qui frappent le saint-siège. Je ne sais si, comme tant d’évêques grecs, il tond ses brebis de très près, mais toujours est-il qu’on ne s’en plaint pas devant moi. Il passe au contraire pour s’occuper beaucoup des pauvres et pour s’intéresser vivement aux écoles et aux progrès de l’instruction dans son troupeau.

De toutes les populations que renferme dans ses murs la ville