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A Angora comme ailleurs, les Turcs de la basse classe sont souvent plus laborieux qu’on ne se le figure généralement, car plusieurs des métiers les plus rudes, comme ceux de forgeron, chaudronnier, tanneur, sont leur apanage exclusif; mais jamais ici le fils ne cherche à faire autrement ni mieux que le père, et toute industrie qui, par suite de quelque invention nouvelle et de quelque concurrence imprévue, ne pourrait survivre qu’en se transformant, en modifiant ses conditions de travail, est une industrie perdue. Il y a vraiment beaucoup de bien chez ces gens-là; mais ce qui leur manque, c’est le désir du mieux, c’est l’idée du progrès.

Cette idée et ce désir, on les trouve au contraire à un degré remarquable dans la population chrétienne d’Angora. Commençons par les Arméniens catholiques; ce sont eux qui forment, après les Turcs, la communauté de beaucoup la plus nombreuse. Chez ces Arméniens, c’est surtout au sein du clergé que s’est manifesté jusqu’ici cet effort, que s’est produit un mouvement qui ne tardera pas à se propager aussi parmi les laïques. Ce que nous avons trouvé en Asie-Mineure de plus élevé et de plus sérieux comme enseignement, c’est, sans comparaison, celui que reçoivent les candidats au sacerdoce dans le séminaire catholique d’Angora, Les études qui s’y font m’ont paru vraiment remarquables pour l’Orient.

Ces études, cette culture, l’état florissant de la communauté catholique d’Angora et les espérances qu’elle donne pour l’avenir, tout cela était dû en grande partie au dévouement et à l’activité chrétienne de l’évêque que son troupeau a eu le malheur de perdre à la fin de 1862, Mgr Antonio Chichmanian, pour qui avait été créé, il y a une douzaine d’années, le siège épiscopal d’Angora. C’était, à l’époque où nous étions devenus ses hôtes, un vieillard de soixante et onze ans, alerte et vert comme un jeune homme, plus que bien des jeunes gens. Le regard, la parole, le geste, l’esprit, tout était encore chez lui d’une vivacité singulière. Depuis qu’il avait été envoyé à Angora, il ne s’était pas donné un instant de repos, et son diocèse avait trouvé en lui un véritable bienfaiteur.

Il avait, dans sa jeunesse, passé dix ans à Rome, à la Propagande. Depuis son retour, simple prêtre à Constantinople, il se préoccupait vivement de l’ignorance où restait plongée la plus grande partie du clergé catholique d’Orient. Ses regards se tournaient surtout vers Ancyre, patrie de sa famille et le centre catholique le plus important qu’il y eût en Anatolie. On savait ses pensées et ses désirs, on connaissait sa courageuse ardeur; on résolut de ne pas laisser plus longtemps sans pasteur un troupeau aussi important, de dix à douze mille catholiques, et il fut désigné pour aller occuper ce poste. Avant de partir pour en prendre possession, il fit appel au patriotisme et