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M. Nilsson continue à rechercher les autres vestiges de la civilisation phénicienne dans le nord de l’Europe. Il croit pouvoir noter comme tels l’usage des chars de guerre et celui de couper avec des faucilles les épis de blé en laissant la paille sur pied. Puis, revenant à la thèse déjà traitée dans la première moitié de son nouvel ouvrage, sur la présence d’un culte phénicien dans les mêmes contrées, il émet des-conjectures dignes d’être signalées à la sérieuse attention de tous les antiquaires, celle-ci entre autres : après avoir rappelé que l’Apollon des Grecs, considéré comme dieu de la lumière, est le même que le dieu phénicien Baal, il transcrit et commente des fragmens fort curieux d’Hécatée d’Abdère[1]. Hécatée, contemporain d’Alexandre le Grand, parle d’une grande île située en face de la Celtique, et dans laquelle se voit un temple de forme ronde, orné de nombreuses offrandes et entouré d’un bois sacré. Latone est venue en ces lieux : aussi Apollon, son fils, y reçoit-il un culte assidu ; ceux qui chaque jour y célèbrent ses louanges en s’accompagnant des cithares sont les prêtres d’Apollon. Il y a même une ville consacrée à ce dieu. — Voilà, pour M. Nilsson, tout un culte de Baal dans l’ancienne Angleterre trois cents ans avant l’ère chrétienne. Bien plus, un antiquaire anglais[2] voit dans ces fragmens la plus ancienne description du fameux monument de Stonehenge ou de celui d’Albury.

En résumé, M. Nilsson est d’avis que la civilisation a été apportée pour la première fois en Scandinavie avec l’usage du bronze et le culte de Baal par ces mêmes Phéniciens qui s’étaient emparés du commerce de toute l’Europe, et chez qui des rapports intimes pendant un temps avec le grand peuple de la vallée du Nil avaient répandu quelque chose de la civilisation égyptienne. À partir de leur arrivée dans les pays du Nord, les tribus demi-sauvages qui les habitaient, — tribus cimbres d’origine celtique, et auxquelles il faut attribuer les grandes constructions appelées dans le Nord dyss, en Angleterre cromlech et en France dolmen, — cessèrent d’être réduites à l’usage de la pierre dont elles avaient fait d’ailleurs un si habile emploi. Outre la religion, les Phéniciens leur enseignèrent l’agriculture et l’art de la guerre (on a vu avec quels usages particuliers) ; elles avaient déjà la pêche et la chasse. Telle fut la nouvelle civilisation du Nord jusqu’à l’invasion des populations indo-germaines qui apportèrent les dogmes de la religion odinique.

En même temps que nous montrions récemment ici les premiers développemens de la théorie de M. Nilsson en Suède, nous disions que les archéologues danois procédaient d’autre façon, par des observations patientes, fines, et ne concluant qu’avec une extrême réserve. Si même l’un d’entre eux commençait à s’avancer, il rencontrait les objections empres-

  1. Voyez le second des quatre volumes de la collection Didot contenant ce qui nous reste des anciens historiens grecs non conservés en entier.
  2. Bateman, Antiquities of Derbyshire.