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devait apporter la plus mûre considération. Les excès de la presse anglaise montrant une coalition imminente dont la France serait le bras, dépeçant l’Europe pour nous donner les provinces rhénanes aux dépens de la Prusse, ne méritaient donc pas plus d’occuper un seul jour l’opinion publique que les inventions excentriques de la télégraphie annonçant que le tsar confiait à l’empereur des Français le règlement des affaires polonaises. Il faut se contenter de voir les choses telles qu’elles sont réellement. Pour le moment, les bonnes chances de la Pologne sont dans les dispositions communes à trois puissances : l’Angleterre, la France et l’Autriche ; dans le point de départ que la convention prussienne fournit à l’action diplomatique de ces puissances ; dans les actes de salutaire initiative que l’on doit encore espérer de l’empereur Alexandre, éclairé par les inspirations de sa conscience, par les conseils de ses alliés et par l’influence morale de l’opinion européenne.

Nous savons gré au gouvernement français de n’avoir point laissé échapper l’occasion que lui offrait la convention militaire conclue entre la Prusse et la Russie. Les regrettables paroles échappées à M. Billault pendant la discussion de l’adresse, et qui ont présenté un si pénible contraste avec le digne langage de lord Russell, ne nous avaient peut-être pas donné le droit de compter sur la décision que notre gouvernement a montrée dans cette circonstance. Il a promptement répondu par là, et nous l’en félicitons, au sentiment du pays. Nous croyons aussi que le gouvernement n’a nullement cherché dans la question qui s’ouvrait le prétexte d’un agrandissement ultérieur, et que, loin de céder à un entraînement égoïste, il a consulté avant tout le véritable intérêt de la Pologne. Deux bonnes chances s’offraient visiblement pour la Pologne : d’un côté, on pouvait, grâce à la convention prussienne, pénétrer diplomatiquement dans la question polonaise ; d’un autre côté, grâce aux dispositions communes à la France, à l’Angleterre et à l’Autriche, il était permis d’espérer qu’au lieu d’agir isolément, on pourrait aborder la question polonaise avec la force morale et le prestige d’un concert entre trois grandes puissances. C’est à profiter de ces bonnes chances, à préparer ce concert, à le constater, à le lier, que nous semble devoir être consacré en ce moment le bon vouloir ou l’effort de la politique française. Les mêmes dispositions, disons-nous, sont communes aux trois puissances. On en a eu pour l’Angleterre la preuve publique dans la dernière conversation de la chambre des lords sur les affaires de Pologne. Les allures de l’Autriche peuvent être différentes, une plus grande réserve peut lui être imposée ; mais au fond elle partage l’opinion des puissances occidentales. Nous ne doutons point qu’à l’heure qu’il est les trois puissances, après s’être réciproquement assurées de l’identité de leurs sentimens et de leur opinion, n’aient envoyé à Berlin des représentations semblables. Nous sommes donc au moment où la partie se lie pour ainsi dire. Qu’amènera la marche des choses ? Nous désirerions pour notre