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Les discours commencés qu’un soupir interrompt
Et les tendres aveux alternent sur leurs lèvres :
Lazare dit ses nuits d’insomnie et de fièvres,
Ses courses dans les bois, et Sylvine à son tour.
Comment son cœur si fier s’est ouvert à l’amour.
Aux regards éblouis du jeune homme elle étale
Chaque feuille suave et chaque blanc pétale
De la pudique fleur de son âme... Et parfois,
Confuse, elle s’arrête et demeure sans voix.
— Ainsi, pendant les nuits de mai tièdes et pures,
Lorsque le rossignol chante dans les ramures,
Si quelque jeune pâtre en suivant son chemin
S’approche du buisson, l’oiseau se tait soudain;
Puis, les pas s’éloignant, la chanson recommence. —
Mais dans leurs entretiens, comme dans leur silence,
On sent vibrer l’amour, car l’amour renaissant
Anime tout ce soir de son souffle puissant.
Il est dans l’air, il est dans le sol, il imprègne
Les masses de verdure et les grands blés que baigne
La lune de ses flots calmes et lumineux.
On dirait que le ciel, de la terre amoureux.
Près de sa fiancée au voile diaphane
Va descendre joyeux, comme autrefois Diane
Vers son Endymion se glissait à la nuit.
C’est l’heure de l’amour. Tout tressaille et tout luit,
Et la terre, déjà prête pour l’hyménée,
Attend silencieuse, émue, illuminée...
L’herbe des prés mûris ondule, et son odeur
Au parfum des tilleuls et des vignes en fleur
S’unit... Mais dans la nuit azurée et sereine.
Du sein des pampres verts, une plainte soudaine
S’exhale, un long sanglot déchirant... Et c’est toi.
Malheureux Jean Caillou! — Pauvre flûteur, pourquoi
En secret cette nuit as-tu suivi Sylvine?
Maintenant les sanglots déchirent ta poitrine,
Et l’âpre jalousie, ainsi qu’un fier vautour.
Te dévore, ô martyr de l’impossible amour!


ANDRE THEURIET.