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Si vous n’aviez quitté votre oisive demeure
Pour vivre et pour agir en homme. Maintenant
Vous êtes deux fois noble : — et de cœur et de sang.
Je vous aime, et je suis fière de ma tendresse.
Allez, et vaillamment luttez, luttez sans cesse !
Moi, je vous attendrai. » Le calme de la nuit
À ces mots succéda, puis un faible et doux bruit...
Étaient-ce les soupirs de l’onde aux flots limpides,
Ou le susurrement de deux baisers rapides?...
Sylvine s’enfonça dans l’ombre lentement.

O charme de l’amour, ô pur enivrement !
Comme Lazare alors vers les bois prit sa course !
Il marchait d’un pas ferme, et la voix de la source
Semblait l’accompagner de son chant clair et frais.
Bien que la nuit fut noire et le brouillard épais,
Il croyait voir au ciel des étoiles sans nombre
Lui sourire à travers la forêt haute et sombre.
pur enivrement, ô charme de l’amour !...

Et la nuit s’avançait, et dans le carrefour
De la Vente-du-Roi de grands feux de bruyères
Projetaient leurs clartés rouges sur les clairières.
Les bûcherons, assis en rond près du brasier.
Pour le nouveau-venu chantaient à plein gosier
Ce refrain qui vibrait dans les combes lointaines :
« Voici les bûcherons, les francs coupeurs de chênes! »


VI. — PRESTO.


Lazare est dans les bois, et du matin au soir
Sa hache, sans répit, fait son rude devoir.
Cette nouvelle vie a d’austères prémices;
La cognée a d’abord meurtri ses mains novices,
Rompu ses bras, courbé ses reins... Sa volonté
A puisé dans l’amour un courage indompté,
L’amour a fait courir un sang frais dans ses veines.
Le voilà maintenant qui coupe les vieux chênes
Aussi facilement que des brins de genêt.
Il aime son métier, — il aime la forêt.

La forêt, qui revêt les monts de sa ceinture
Et berce dans le vent ses masses de verdure,