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Que ses deux pieds légers. Elle apporte à sa sœur
Les humbles ornemens des tombes plébéiennes, —
Des fleurs des champs : — asters et grappes de troènes,
Campanules d’automne et pâles serpolets,
Gentianes des bois aux reflets violets,
Scabieuses lilas, bruyères, vipérines...
Comme les deux logis, les tombes sont voisines;
Elle arrive à la place où dort sous le gazon
L’enfant du tisserand auprès du vieux baron.
Lazare, saluant la grave jeune fille :
« La mort a donc aussi frappé votre famille?
Elle emporte à la fois l’enfant et le vieillard.
Elle accourt, et la nuit s’épaissit; elle part,
La lumière et la paix de la maison la suivent.
Et l’horreur de la vie hante ceux qui survivent. »
Il dit, et sur un banc s’assied silencieux.
La fière jeune fille, aux regards sérieux.
Lui répond, en posant ses fleurs dans l’herbe humide :
« N’est-ce pas que c’est triste, un logis qui se vide?
Que c’est navrant, l’adieu d’un ami qui s’en va!
Cette mignonne enfant que la mort enleva
Brusquement, comme un loup qui ravit une proie,
Faisait notre espérance et notre seule joie.
Elle était si vivante et de corps et d’esprit!
C’était une eau qui court, un feu clair qui jaillit;
Rieuse et remuée, active et caressante.
Elle allait et venait dès l’aube blanchissante.
S’agitant tout le jour, lorsqu’approchait le soir,
Sur sa petite chaise elle se laissait choir,
Et l’on voyait fléchir sa tête appesantie
Comme une rose en fleur par l’ondée alourdie...
Sur ses lèvres, un jour le rire s’est éteint,
La fièvre et l’insomnie ont fait pâlir son teint.
Le médecin disait : — Cette cave est lugubre !
Il faudrait à l’enfant un air tiède et salubre... —
Oh! de la pauvreté dures chaînes de fer!
Il fallut la laisser dans la cave sans air...
Elle est morte ! » Sylvine à ces mots s’agenouille.
Sa poitrine se gonfle et son regard se mouille.
Le jeune homme est ému. Cette grave beauté.
Cette noblesse unie à tant de pauvreté,
Font battre doucement son cœur dans sa poitrine...