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principe de l’indépendance des nations par leur propre souveraineté? Ce qui est invariable, ce qui est de tradition pour la France au-delà des Alpes, c’est d’éloigner, d’exclure ou de balancer la domination étrangère; ce qui se mêle désormais à cette pensée fixe, c’est l’idée d’un droit nouveau servant à vaincre cette domination et à la remplacer par un peuple. Je comprends bien qu’une Italie divisée fut un avantage tant que la politique se réduisait à un jeu d’influences qui aurait persisté au sein même d’une fédération. C’était un équilibre recherché bien plus qu’une indépendance réelle. Aujourd’hui c’est cette indépendance existant par elle-même, reposant sur des principes qui sont les nôtres, c’est cette indépendance qu’il faut créer, et c’est ce qu’exprimait M. Thouvenel lorsqu’il disait dans un moment décisif : « L’Italie pendant des siècles a été un champ ouvert à une lutte d’influence entre la France et l’Autriche. C’est ce champ qu’il faut à jamais fermer. C’est l’Italie elle-même qu’il s’agit de constituer comme un intermédiaire, comme une sorte de terrain désormais impénétrable à l’action tour à tour prédominante et toujours précaire de l’une ou l’autre de ces deux puissances. » Ce corps impénétrable, est-ce en organisant une faiblesse toujours tentatrice qu’on le créera? N’est-ce point au contraire notre intérêt de voir grandir une vraie nation qui est une force de plus pour nous, parce qu’elle représente à nos côtés les mêmes idées, parce qu’elle est liée à toute notre fortune morale? Et si l’Italie a des côtes étendues, une population maritime nombreuse, tout ce qu’il faut pour former une marine, est-ce donc un si grand mal? N’est-ce pas aussi un intérêt permanent de la France de voir se développer d’autres marines à côté de la sienne? Un des griefs de certains défenseurs de l’intérêt traditionnel contre la guerre d’Orient, c’était, je me souviens, qu’on allait follement aider l’Angleterre à détruire la marine russe. Est-ce donc un péril que la création d’une marine nouvelle?

Je sais bien qu’on entrevoit les temps de conflits et les coalitions européennes où il y aurait une puissance militaire de plus. Qu’on me permette un souvenir de l’histoire. Reportez-vous un instant à l’époque où l’Europe, provoquée par une immense ambition qui ne laissait debout aucune indépendance, refluait vers nos vieilles frontières et se préparait à pénétrer jusqu’au cœur de la France. Si Napoléon, au lieu d’une Italie rattachée en partie à l’empire et distribuée pour le reste en principautés feudataires de famille, eût trouvé une Italie unie, indépendante, organisée, et liée à la France par l’intérêt évident de sa propre conservation, pensez-vous que c’eût été un danger, et qu’une armée italienne, s’avançant sur ses frontières aux revers des coalisés, n’eût pas été de quelque poids pour la défense commune? Napoléon trouva la faiblesse là où il l’avait