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jour d’orage, à une passion invincible d’autonomie; il tient à un ensemble de phénomènes que l’unité n’a point créés, qu’elle a fait simplement éclater comme une éruption redoutable du corps humain.

Il est facile sans doute de noter des méprises, des erreurs, des fautes de gouvernement, des malentendus dégénérant en impatiences et en querelles entre le nord et le midi. Au fond, ces accidens étaient inévitables. J’ai toujours admiré ceux qui, depuis le premier moment, voyant les dictateurs, les vicaires royaux, les lieutenans, se succéder, — M. Farini après Garibaldi, et après M. Farini le prince de Carignan avec M. Nigra, le général Cialdini après M. de San-Martino, et après Cialdini le général La Marmora, se sont dit, toutes les fois qu’ils ont vu paraître un homme nouveau, que tout allait finir. Ce n’est ni par la main d’un seul homme, ni en quelques mois, ni même en quelques années, que tout peut finir : c’est l’œuvre de bien des années encore, parce que la question qui s’agite à Naples est bien moins politique que sociale.

La question napolitaine, elle est vraiment dans l’anarchie morale et organique d’un pays où des contrées entières sont soustraites à toute vie civilisée faute d’un chemin, d’un sentier, où la vie agricole se réduit sur certains points au vagabondage des pâtres qui campent l’été dans les montagnes, où la religion, si pittoresque qu’elle puisse être, n’est qu’une superstition dont l’unique mobile est la peur de l’inconnu, de l’enfer, comme toute la politique était la peur du roi, du gendarme, où le brigandage est un phénomène naturel, traditionnel, et trouve d’autant plus de facilité qu’il peut échapper à la répression par la fuite sur les hauteurs ou dans la profondeur des forêts, où l’absence de toute sécurité enfin crée une sorte de connivence par crainte ou par habitude entre la population et les bandits. La question napolitaine, elle est dans cette situation que dépeignait un agent consulaire français placé dans les Abruzzes. « Ce qui se passe aujourd’hui, écrivait-il en 1861, est la conséquence obligée du système démoralisateur appliqué par Ferdinand II. Depuis 1848, il n’avait eu qu’une pensée, qu’un but, rendre le retour au régime constitutionnel impossible par l’asservissement complet de la classe moyenne. L’avilissement calculé de la bourgeoisie, la licence autorisée et encouragée de la basse classe devaient priver la première de toute confiance, de toute force... Pendant que Ferdinand II laissait à la basse classe une liberté presque illimitée, il adoptait pour la bourgeoisie un système qui devait infailliblement lui faire perdre toute son énergie. Chacun était impitoyablement interné dans sa localité. Les magistrats communaux étaient pour la plupart choisis en dehors de la bourgeoisie... La lecture du journal officiel avait fini par être interdite dans les cafés. On refusait aux pères de famille