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dire sur ce point. Je veux bien refaire avec M. Proudhon un cours de géographie politique et apprendre de lui que l’Italie est une botte, qu’elle a la taille longue et fine, qu’elle est coupée dans son étendue par la chaîne de l’Apennin, partagée en zones du nord et du midi, en bassins du Pô et du Tibre, sans compter les îles, et que ce sont là des conditions merveilleusement favorables à un système de fédération. D’autres parleront des bienfaits de l’autonomie, de tous ces foyers distincts et brillans de civilisation, de toutes ces villes en rivalité permanente, même des droits des princes liés à un certain ordre européen. L’unité s’est fait jour cependant; quelle a été sa raison d’être? Elle en a surtout une qui résume toutes les autres, la nécessité de concentrer les élémens nationaux, de créer une force compacte et homogène en présence de l’œuvre de l’indépendance restée inachevée. Reportez-vous au lendemain de Villafranca : il était déjà tard alors pour la confédération, et il est encore bien plus tard aujourd’hui. L’Italie, au lendemain de cette paix qui venait clore à l’improviste une éclatante campagne, avait deux voies devant elle : l’une, périlleuse, il est vrai, mais où, avec la liberté qui lui était assurée, elle pouvait arriver à prendre possession de ses destinées par le débordement en quelque sorte régulier du droit national sur des souverainetés dont quelques-unes n’existaient même plus; l’autre, plus diplomatique et plus sûre sans doute, mais où en acceptant une fédération avec l’Autriche à Venise, avec les ducs restaurés, avec le pape dans la plénitude du pouvoir temporel, avec Naples en défiance et des princes rattachés à la protection autrichienne par la solidarité de la crainte, elle courait le danger de rester divisée et impuissante devant un problème plutôt suspendu que résolu.

Situation assurément dramatique et pleine de perplexité! Ce qui a poussé l’Italie à se jeter en avant, ce n’est point une fantaisie perturbatrice et révolutionnaire, c’est un sentiment national plus profond, plus réfléchi, plus complexe qu’on ne le dit, et à ce moment celui qui exprimait le mieux ce sentiment, ce n’était peut-être ni M. de Cavour, ni Garibaldi : c’était un homme d’une physionomie originale et d’une vigoureuse trempe de caractère, fier, obstiné et passionné avec une sorte de froideur, d’idées peu étendues, d’une intelligence peu souple, mais d’une énergique fixité de résolution, d’une dignité sévère et simple, n’ayant nul goût pour le désordre tout en étant le plus révolutionnaire des aristocrates, vrai type de gentilhomme d’autrefois transporté dans notre temps; c’était le dictateur temporaire de Florence, le baron Bettino Ricasoli, personnage étrange, qui plongeait par sa race dans le passé de la Toscane et qui semblait ne représenter la tradition florentine dans toute sa