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vrai même, c’est peut-être un abus de l’histoire, une illusion rétrospective de chercher dans le passé la trace, l’ébauche de cette unité, comme pour la revêtir du prestige de l’ancienneté. Que cette pensée ait voyagé dans le moyen âge italien, qu’elle ait hanté les imaginations les plus puissantes, que la péninsule ait été le théâtre séculaire d’une lutte entre l’unité rêvée sous des formes diverses et les traditions municipales finissant par se fixer dans une multitude de principautés rivales, rien n’est plus certain; mais ici éclate la différence. Autrefois c’était l’unité par l’idée impériale ou par l’idée papale, c’est-à-dire toujours la subordination de l’Italie à une pensée plus universelle que nationale et en quelque sorte la négation de sa personnalité, de même que l’indépendance par des principautés multiples n’était d’un autre côté qu’une conception toute locale, assez vivace pour s’élever sans cesse entre le pape et l’empereur, trop faible pour rien organiser par elle-même, et n’aboutissant en fin de compte qu’à introduire périodiquement l’étranger dans les démêlés italiens. Ce qu’on n’a vu jamais, ce qu’on ne voit, ce qui n’a été possible qu’aujourd’hui, c’est l’unité par un acte de souveraineté populaire et par la liberté, par la fusion spontanée des lois, des intérêts et des autonomies, par la substitution de l’idée d’une indépendance collective et nationale à l’idée plus restreinte et toute locale d’une indépendance morcelée, précaire, toujours flottante entre toutes les influences, enfin par l’affirmation d’une personnalité italienne. C’est là ce qu’il y a de nouveau, d’essentiellement moderne dans ce mouvement où viennent se résoudre, comme dans une donnée supérieure, toutes les traditions de luttes et d’antagonismes qui ont agité l’Italie, dans ce mouvement qui descend en droite ligne de la révolution française, mère de ce double principe de l’indépendance des nations et de l’émancipation des peuples dans leur vie politique et civile.

Comment cependant la réalisation de ce principe a-t-elle été si impétueuse et si prompte au-delà des Alpes, et comment en si peu d’années, presque en si peu de jours, cet ordre nouveau a-t-il pris corps à ce point qu’il faudrait une révolution pour le détruire? Comment à une certaine heure l’Italie, placée entre l’unité, qui était un rêve encore, et la confédération, qui semblait la forme d’indépendance la plus rapprochée, la plus naturelle, a-t-elle hardiment choisi la première? Est-ce qu’une organisation fédérative n’assurait pas à la nationalité italienne des garanties suffisantes, conformes à son génie et à ses traditions, en lui épargnant les problèmes devant lesquels elle se débat aujourd’hui? Il y a eu des momens, cela est certain, où une confédération eût été possible, et il y en a eu même où elle eût été saluée comme une faveur de la fortune. On peut tout