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tite mosquée du hameau. Il vient nous y tenir compagnie, et Méhémed et lui causent très tard. Quel dommage de ne pas tout comprendre ! L’iman se plaint de la lourdeur des impôts. Il prétend qu’au moyen de surcharges et de rapines de toute sorte on en est venu à leur faire payer jusqu’à 1,000 piastres par maison. Pour un petit jardin qu’il a à Nalichan, et qui peut lui rapporter jusqu’à 500 piastres, on lui demande 100 piastres d’impôt, 20 pour 100 du produit. « Mais il faut réclamer ! — À qui ? » répond-il d’un ton qui montre combien il est profondément convaincu qu’il n’y a pas dans tout l’empire de recours pour les petits et les faibles contre les injustices des grands et des gens en place. Rien ne démoralise et n’affaiblit un peuple comme d’en être venu à ne plus croire à la puissance du droit. C’est ce danger moral qui m’effraie pour ce peuple-ci plus que la lourdeur de l’impôt. Le poids de l’impôt paraît largement compensé par les subventions que l’état accorde ici aux particuliers, ou plutôt qu’il leur laisse usurper par sa négligence. Sans parler des prairies du domaine public, où ils peuvent faire paître tout leur bétail moyennant une très légère redevance, coupe qui veut dans la forêt du bois de chauffage et de construction ; il suffit de ne pas toucher à quelques grands arbres, qui ont été mis à part pour la marine impériale.

Le second soir, après avoir franchi à grand’peine l’affreux ravin dont j’ai parlé plus haut et nous être égarés dans les ténèbres, nous couchons dans le premier village fixe que nous ayons encore trouvé dans la montagne : là aussi on se montre d’une bonté vraiment touchante pour notre invalide, que la fièvre abat de plus en plus. Le troisième jour, nous commençons à descendre vers la Galatie. Nous ne trouvons plus sur le versant méridional de l’Olympe de belles forêts touffues comme celles qui en garnissaient les pentes vers Boli, ni même des gorges boisées comme celles que nous avons traversées sur le plateau. Ce sont des ravins de sable et de craie comme ceux que nous avons vus à Assi-Malitch et dans la vallée du Sangarius. La route, à mesure qu’elle s’abaisse, prend un aspect de plus en plus étrange. Le sentier court sur les arêtes qui séparent l’un de l’autre deux profonds ravins. Il y a des endroits où il n’est pas plus large qu’une planche, et où il passe entre deux gouffres blanchâtres et crayeux de l’aspect le plus triste. Ce sont comme deux vastes entonnoirs aux parois desquels ne s’attache aucune plante, aucune de ces fleurs sauvages, de ces vigoureux arbustes qui font parfois aux murs de rochers une si pittoresque parure. Un peu avant la nuit, nous arrivons à Bey-Bazar, petite ville serrée dans une gorge étroite entre deux murs de rochers qui dominent les habitations. Au fond coule le torrent, sur lequel sont jetés beaucoup