Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sources de la vie. Les trois quarts des enfans sont rachitiques et malingres.

Notre hôte, Hadji-Ibrahim-Bey, a trois femmes; il n’a pas d’enfans. Les femmes d’Hadji-Ibrahim-Bey demeurent dans trois maisons différentes et ne se sont jamais vues. C’est là sans doute, pour un mari polygame, le meilleur moyen d’éviter les querelles. Le harem principal tient au sélamlik par un corridor couvert jeté sur la cour. Il est aussi grand que le bâtiment que nous habitons, ancienne demeure du déré-bey, dont Hadji-Ibrahim est le fils. C’est là que réside l’épouse préférée, ou plutôt la première en date. Les deux autres harems sont un peu plus bas, dans des jardins. Entre ces trois maisons, où donc est le foyer domestique?

21 juillet. — Je pars sur les sept heures du matin avec Méhémed pour aller visiter quelques villages du pied de l’Olympe. Quel bonheur de ne pas traîner derrière soi de bagages ! Nous nous arrêtons un instant à Dusdché, village entièrement turc, ou plutôt station de poste sur la route d’Adabazar à Boli, et nous allons faire une visite au mudir, qui trône comme un vizir sur son divan; il nous offre une tasse de café, et nous reprenons notre route à travers une belle plaine qui devrait être la plus fertile du monde, mais dont les trois quarts sont incultes et déserts. Tout en cheminant, je cause avec Méhémed et avec notre surudji, ou loueur de chevaux, de toutes les voleries des pachas, caïmacans, mudirs, grands et petits pillards. « Le caïmacan de Boli est maintenant à Uskub, nous dit le surudji. Le mudir va lui faire un cadeau, de la soie, du tabac, etc., et il se fera ensuite indemniser par les pauvres en leur demandant naturellement le double de ce qu’il aura donné. — Je les connais, tous ces mudirs, caïmacans et pachas, reprit Méhémed, et je sais les tours qu’ils jouent. — C’est vrai, tu as été longtemps auprès d’un pacha; ton pacha mangeait-il beaucoup? (Manger est le terme turc pour voler.) — Certainement; sans cela, serait-il devenu pacha? — Et vous autres zaptiés, vous faisiez comme lui sans doute? Tu mangeais aussi, n’est-ce pas? — Eh ! oui; ne suis-je pas Turc, moi?»

Bey-Keui est aussi un petit village où il n’y a d’autres chemins que le lit des ruisseaux. Nous ne trouvons d’abord que des enfans et des femmes, qui semblent fort embarrassés de nous. Enfin Méhémed réussit à mettre la main sur l’iman. Celui-ci nous apporte à déjeuner, et nous conduit à une forteresse dont on nous a parlé à Uskub comme d’une construction intéressante; il se trouve que c’est seulement un château byzantin destiné à couvrir la route importante qui conduisait, à travers l’Olympe, à Modrenæ et à sa citadelle. Le site est admirable. En redescendant sur la lisière de la plaine, on traverse des fourrés et des clairières où s’offrent des groupes d’ar-