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blique et des faits qu’il appartient à chacun de juger, — Horace Vernet a pu commettre des oublis, des imprudences, des fautes même. N’accusons pourtant pas plus sévèrement que de raison ces torts, où tout n’est pas réel. Talent toujours dispos et prompt à agir, esprit plus apte à saisir le côté extérieur et la physionomie des choses qu’habile à en scruter la signification intime et le fond, Horace Vernet, incessamment tourmenté du besoin de produire, n’avait ni le loisir de se souvenir du passé et de s’émouvoir ailleurs qu’en face de la tâche présente, ni l’ambition de formuler rien de plus que l’image textuelle d’un fait. Vainement on chercherait dans l’ensemble de ses œuvres l’expression continue d’une doctrine, le développement de certains principes une fois adoptés. Les sujets si divers qu’il a traités à tour de rôle, et toujours avec un parfait détachement de ses préoccupations antérieures ou prochaines, — ces emprunts alternatifs aux bulletins de nos expéditions militaires et aux livres saints, à l’histoire de nos révolutions politiques et aux chants des poètes, — ces caricatures en regard de vignettes pour les Fables de La Fontaine ou pour la Henriade, pour le théâtre de Molière ou pour les tragédies de M. de Jouy, — cette longue série de portraits où figurent des princes et des fonctionnaires de tous les régimes, des hommes célèbres à des titres radicalement contraires, depuis les héros de nos champs de bataille jusqu’à des héros de cour d’assises, — tout cela trahirait une singulière indifférence en matière de thèmes pittoresques, s’il n’était plus juste d’y reconnaître la mobilité naturelle et la curiosité d’une imagination facile à s’éprendre de ce qui a pour soi l’éclat, la renommée, ou seulement le bruit.

Au point de vue de l’art et de la pratique, la manière d’Horace Vernet s’explique ou s’excuse par des considérations analogues. Qualités et défauts, tout procède chez lui de facultés à la fois rares et vulgaires, solides et frivoles, d’un mélange extraordinaire de bonne foi et de ruse, de précision et de prolixité, de franche imitation du vrai et d’habileté factice. Le vrai dans son expression absolue, l’imitation scrupuleuse de la réalité, voilà pourtant, suivant les propres paroles d’Horace Vernet, le principe unique comme l’unique fin de l’art; tels étaient les termes où il résumait toute sa poétique, toutes ses croyances, tous ses devoirs. « Quand je veux peindre un tableau, avait-il coutume de dire, j’ouvre ma fenêtre et je regarde. » Or cette fenêtre qui devait fournir le plein jour à sa pensée et à ses yeux, d’où vient qu’il se soit contenté si souvent de l’entre-bâiller? N’interrogeait-il pas sa mémoire plus assidûment encore que la nature, et ne lui est-il pas arrivé nombre de fois de se fier à l’adresse de sa main au moins autant qu’à l’autorité de ses modèles?