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d’ensemble. Ce défaut est capital pour la carrière de chanteur dramatique que veut parcourir le jeune et vaillant virtuose, et tout ce qu’on peut souhaiter à M. Léon Duprez, c’est que la nature opère sur son organe débile l’évolution étonnante qu’elle a produite sur la voix de son père, qui n’était aussi qu’un tenorino d’amore alors qu’il s’essaya, il y a trente ans, dans les coulisses de l’Odéon et puis à l’Opéra-Comique.

Une fable absurde cent fois plus ennuyeuse et plus invraisemblable que l’historiette de Da Ponte ; une partition mutilée, d’où l’on a exclu huit morceaux de l’œuvre originale, et dont les autres sont méconnaissables ; une cohue de princes, de princesses et de courtisans jouant à l’épigramme et au bel esprit, mis à la place des six personnes de la société facile du XVIIIe siècle, pour qui Mozart a composé une musique exquise, profonde, touchante, admirablement adaptée aux caractères divers dont elle exprime les sentimens ; une exécution inférieure ; des lambeaux de symphonie intercalés dans l’œuvre nouvelle par la main de mauvais écoliers : voilà le spectacle que nous offre le Théâtre-Lyrique quand il donne Peines d’Amour. Après un tel coup de maître, je ne suis plus inquiet sur l’avenir de M. Carvalho, qui obtiendra peut-être la subvention qu’il désire, et dont on a privé le Théâtre-Italien. Le temps est d’ailleurs propice à ces actes de munificence, qui étonnent et blessent quelquefois la conscience publique.

L’écrivain savant et ingénieux que nous avons cité plus haut, Vinet, a donné la définition suivante d’un chef-d’œuvre de l’art : « L’œuvre d’art doit être comme une lampe d’albâtre dont la matière est pure et belle. L’idée de la beauté brûle au dedans comme une flamme et éclaire le dehors. Il faut que cette forme soit travaillée, qu’il n’y ait pas une saillie, un point qui reste dans l’ombre et fasse obstacle au passage de la lumière ; il faut que la matière soit transparente et l’esprit vif, que de toutes parts elle laisse passer et se répandre à travers sa substance la flamme divine qui brûle au dedans. » S’il en est ainsi, et la définition est parfaite, n’allez pas entendre au Théâtre-Lyrique Peines d’Amour.


P. SCUDO.




L’Acropole d’Athènes, par M. BEULÉ[1].


Si jamais il y eut des sociétés où l’art fût vraiment populaire, où ses jouissances ne fussent pas un privilège réservé à une petite élite d’oisifs et de délicats, mais où tous en eussent leur part, et ressentissent plus ou moins quelque chose de cette sorte d’ivresse que fait éprouver à l’âme la vue des œuvres vraiment belles, c’est la société grecque, et surtout la société athénienne depuis les guerres médiques jusqu’à Alexandre ; c’est encore la société italienne du XVIe siècle, celle de Jules II et de Léon X. Ce qu’était la passion de l’art parmi les contemporains de Léonard, de Michel-Ange et de Raphaël, on peut s’en faire une idée dans les Vies des Peintres, de G. Vasari, et surtout dans une œuvre bien autrement vivante et parlante, dans les mémoires de Benvenuto Cellini, ce livre tout plein de mensonges et pourtant si franc et si vrai, parce qu’il nous révèle toute une époque,

  1. 1 vol. in-8o, Paris, Didot, nouvelle édition.