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de famille où ni Français, ni Anglais, ni Allemands n’avaient rien à voir, et que les Polonais auraient grand tort de se faire illusion sur ces bruits de congrès. « Tenez, ajoutait-il, je me suis départi du système de mes prédécesseurs ; je laisse librement circuler, je fais même reproduire dans les journaux d’ici les discours et les notes qu’on prononce et écrit là-bas en votre faveur. Il ne sortira rien pour vous de toutes ces phrases-là, et je suis bien aise qu’on connaisse ici la valeur de ces démonstrations pacifiques, afin que cela serve de leçon, »

Entre les Polonais pris de la glorieuse passion du martyre et l’Impitoyable ténacité des Russes, la position des trois puissances qui viennent de faire un premier effort d’humanité en faveur de la Pologne est plus délicate et plus grave qu’elles ne l’avaient prévu. On sait que des notes ont été présentées par ces trois puissances à la cour de Saint-Pétersbourg. Celle de l’Angleterre est, dit-on, la plus énergique ; celle de la France concilierait mieux la fermeté du fond avec la courtoisie du langage ; celle de l’Autriche, très modérée dans la forme, faisant appel aux sentimens d’humanité de l’empereur Alexandre, aurait ceci de plus grave et de plus blessant pour les Russes que l’intérêt dont elle témoigne n’est point restreint au royaume, mais s’étend aux provinces polonaises réunies à la Russie, laissant ainsi percer le désir qu’a toujours eu l’Autriche de voir se reconstituer une grande Pologne capable de servir de barrière entre l’Allemagne et la Moscovie. Mais laissera-t-on de telles démarches stériles ? Après avoir parlé en faveur d’un peuple héroïque, les trois plus grandes nations de l’Europe attendront-elles avec une impassible inertie que le gouvernement russe puisse montrer encore une fois dans la Pologne terrassée la honteuse impuissance des sympathies européennes ?


E. FORCADE.



REVUE MUSICALE


Le Théâtre-Lyrique a eu le courage de son opinion, et le 31 mars il a donné la première représentation d’un ouvrage en quatre actes sous le titre piquant de Peines d’amour. C’est le mariage forcé, on pourrait dire l’accouplement monstrueux d’une pièce étrange de Shakspeare avec la musique exquise de l’opéra de Mozart Cosi fan tutte, que le Théâtre-Italien a évoqué cet hiver après trente ans d’oubli. L’idée de mettre une nouvelle toile à un chef-d’œuvre de grâce et de sentiment, et de remplacer le cadre, bon ou mauvais, sur lequel un musicien sublime a jeté ses inspirations, est une idée malheureuse qu’on a souvent essayé de pratiquer en Allemagne sans succès. La simple traduction du texte d’un opéra dans une langue étrangère est déjà une opération des plus délicates, qui ne se fait pas sans troubler un peu l’harmonie qui existe dans l’œuvre originale entre le rhythme musical et l’accent prosodique de la parole. Que sera-ce donc si, au lieu d’adapter, scrupuleusement de nouvelles paroles à celles qui ont servi de thème au compositeur, vous changez la donnée même de la fable ? Vous