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et anéantir toute la population arménienne de la montagne. Trois Zeïthouniens, qui étaient venus à Marach pour affaires particulières, furent immédiatement arrêtés et emprisonnés par ordre du pacha. En même temps Aziz donna l’ordre aux mudirs du voisinage de se saisir de tous les Zeïthouniens qu’ils pourraient rencontrer et de les envoyer à Marach sous bonne escorte.

La province était dans une grande agitation; les musulmans proféraient des menaces contre les chrétiens, et ces derniers, frappés de stupeur, entrevoyaient clairement que des scènes semblables à celles qui naguère avaient ensanglanté le Liban allaient se renouveler à Marach et dans la montagne. Ce qui augmenta leur terreur, ce fut de voir arriver dans la ville des troupes de bachi-bozouks qu’Aziz-Pacha avait appelés pour les envoyer contre le Zeïthoun. Ces troupes irrégulières se composaient de Kurdes Afchar, de Turcomans yourouk et de Circassiens. Venus en 1857 dans la province, ces Circassiens avaient quitté les montagnes du Caucase en nombre considérable, et avaient obtenu du gouvernement turc des terres en Asie-Mineure pour s’y établir. Les Turcs les avaient répartis principalement dans les localités où la population chrétienne était en majorité, afin de renforcer les musulmans vis-à-vis d’elle et de mettre les raïas dans la triste nécessité de subir les vexations des Circassiens. Dès que ces bandes pillardes et indisciplinées furent réunies à Marach, elles y commirent toute sorte de désordres, et les chrétiens eurent beaucoup à souffrir de la présence de ces milices insolentes, qui annonçaient hautement leur intention d’anéantir tous les Arméniens de la province.

Les Zeïthouniens s’étaient hâtés d’adresser au gouverneur Aziz-Pacha un rapport détaillé où ils démontraient leur innocence, et déclaraient que le massacre de trois enfans musulmans par les chrétiens était un fait de pure invention. Ce rapport, communiqué par Aziz au medjlis, ne fit qu’irriter encore davantage les membres de ce conseil contre les Zeïthouniens, et ils engagèrent le pacha à mander à Marach les princes arméniens pour qu’ils eussent à s’expliquer de vive voix. Les princes comprirent que cette invitation cachait un piège; avant de se rendre à l’appel du pacha, ils adressèrent à M. Molinari, agent consulaire de France, une lettre dans laquelle ils le priaient d’intervenir en leur faveur auprès d’Aziz, et d’obtenir de lui une garantie formelle pour leur sûreté. L’agent français communiqua la lettre des princes au pacha, mais celui-ci ne voulut rien entendre, et lui dit ces simples paroles : « Je veux en finir avec ces rebelles et ces assassins et les exterminer jusqu’au dernier. »

Il paraît constant que le pacha, pendant la nuit qui précéda cette entrevue, avait reçu de Constantinople des dépêches en réponse aux