Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lever le cadavre de la victime et de lui donner la sépulture; mais une embuscade leur avait été tendue, et l’un d’eux tomba frappé d’une balle. Les parens des deux victimes, redoutant de nouveaux malheurs, coururent à Alabach, village arménien situé dans îe voisinage, et, réclamant l’assistance du kaïa du lieu, Garabed, lui racontèrent ce qui s’était passé. Ce dernier réunit, sans plus tarder, quelques hommes d’Alabach, et se dirigea vers Kertmen pour faire une enquête et arrêter les meurtriers. Arrivé à mi-chemin des deux villages, Garabed aperçut les hommes qu’on lui avait désignés comme les principaux auteurs des meurtres commis sur les deux habitans de Béchen, et il donna aussitôt à ses gens l’ordre de les arrêter. A ce moment, plusieurs individus armés sortirent des broussailles où ils s’étaient postés, et, voyant les leurs aux mains des gens de Garabed, ils firent feu sur les Arméniens. Cinq des compagnons du kaïa furent tués. Attaqués à l’improviste, les Arméniens firent cependant bonne contenance, et, ripostant aussitôt par une décharge bien nourrie, ils mirent hors de combat plusieurs de leurs adversaires. Les autres prirent la fuite à travers les rochers, en tirant encore des coups de fusil sur la troupe de Garabed, qui les poursuivait. Agop, second kaïa d’Alabach, tomba lui-même mortellement atteint. Cet incident mit fin à la poursuite, et les Arméniens ne songèrent plus qu’à enlever leurs morts, qu’ils transportèrent au couvent de Saint-Sauveur, où on les inhuma. Après ce conflit sanglant, où les pertes avaient été à peu près égales de part et d’autre, on semblait devoir en rester là, d’autant plus que les princes zeïthouniens avaient délégué l’un d’eux pour instruire l’affaire et calmer l’irritation des esprits.

Cependant un musulman de Marach, nommé Gul-Ali, qui était de passage à Alabach, revint en toute hâte au chef-lieu du pachalik, et raconta dans la ville que les Arméniens du Zeïthoun assassinaient les musulmans. Cette nouvelle, transmise au gouverneur Aziz-Pacha, lui parut d’une telle gravité qu’il fit venir chez lui Gul-Ali afin d’éclaircir le fait. Ce dernier persista dans sa déclaration en dénaturant les circonstances du conflit, et ajouta que les Arméniens avaient aussi assassiné trois enfans musulmans. Le pacha assembla sur l’heure le medjlis, ou conseil des notables de la ville, pour leur rendre compte des événemens accomplis dans le Zeïthoun. Parmi les membres de ce conseil, on remarquait Soliman-Bey, ancien fonctionnaire ottoman, révoqué par iradé (décret), Hadji-Omar-Effendi et Nedjib-Effendi, tous trois connus pour leur fanatisme et leur animosité contre les chrétiens. Ces notables, dont la voix était prépondérante dans le conseil, engagèrent vivement le pacha à intervenir à main armée dans le Zeïthoun, pour tirer vengeance des giaours