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nales et les rivalités religieuses des populations chrétiennes, faire naître des conflits, puis intervenir à main armée. » On est bien forcé de se demander, en présence des douloureuses scènes du Taurus, si ces quelques mots ne caractérisent pas la politique suivie actuellement par le cabinet turc à l’égard de ces mêmes raïas que la Porte s’est engagée solennellement à protéger comme ses autres sujets. Les rapports officiels ne laissent pas ignorer en effet que c’est en vertu d’ordres exprès que le pacha de Marach est venu attaquer les Zeïthouniens au mois d’août 1862, et que les massacres des Arméniens d’Alabach, de Saint-Sauveur et de Mikhtal résultent des instructions adressées directement de Constantinople à Aziz-Pacha. En y réfléchissant, on ne saurait garder le moindre doute : c’est à tort que les massacres des Arméniens du Taurus ont été présentés comme « des faits isolés, sans autre connexion que les haines musulmanes, et sans autre analogie que la médiation d’un pacha avec la grande conspiration turque de 1860. » Des informations certaines prouvent qu’il en a été tout autrement. Au surplus, l’éminent écrivain qui a le premier appelé l’attention de l’Europe sur les massacres du Zeïthoun, M. Saint-Marc Girardin, a démontré d’une manière irréfutable que la politique turque suit toujours la même ligne de conduite à l’égard des raïas, que les tueries du Liban et du Taurus sont les résultats d’une même influence gouvernementale, et que, s’ils se déplacent, les massacres n’en continuent pas moins. « Il faut, dit-il, l’aveuglement qui fait croire en ce moment à la Porte-Ottomane qu’ayant l’appui décidé et systématique de l’Angleterre, tout lui est permis, il faut cet aveuglement pour avoir poussé les pachas turcs à persécuter aussi cruellement les Arméniens; mais le fanatisme et la cupidité n’ont de frein que la peur, et le vizirat de lord Palmerston a affranchi les Turcs de toute peur, de telle sorte que les pachas sont plus hardis que jamais dans leurs exactions, et les soldats plus fanatiques aussi que jamais dans leurs cruautés. Ce sont ces deux passions d’en haut et d’en bas qui semblent coalisées en ce moment contre les Arméniens du Taurus. » Entrons maintenant dans le détail des faits.

Au mois de juillet 1862, les habitans de Béchen et de Kertmen, villages musulmans du Zeïthoun, se prirent de querelle au sujet d’un terrain dont la propriété était contestée. Pendant quelques jours, la question resta pendante, l’affaire étant portée devant le conseil des princes zeïthouniens. Sur ces entrefaites, un homme de Kertmen, qui avait des prétentions sur le terrain en litige, tua d’un coup de fusil un habitant de Béchen, son parent, qui contestait son droit de propriété. La nouvelle de cet assassinat s’étant répandue, les gens de Béchen se transportèrent sur le lieu du crime, afin d’en-