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est nécessaire à l’alimentation ordinaire des montagnards et de leurs bestiaux. Le blé est rare dans la contrée : aussi les gens du pays sont-ils obligés de le faire venir des environs de Césarée et de Marach. C’est de ces deux villes qu’ils tirent également les objets de consommation qui leur manquent, les armes, les étoffes, les ustensiles de ménage, etc. En échange de ces produits, ils approvisionnent les bazars des localités voisines da fer brut ou travaillé. Dans les villages du Zeïthoun, la plupart des habitans travaillent aux forges et fabriquent des clous, des fers de cheval, des socs de charrue, des pelles et des pioches. Les femmes sont occupées principalement à l’élève des vers à soie; elles dévident les cocons et expédient les écheveaux à Césarée. Quelques-unes tissent des étoiles grossières et fabriquent des tapis de qualité inférieure.

Les enfans reçoivent une éducation très incomplète, les écoles attachées aux églises sont peu suivies, et ceux qui ont atteint l’âge de dix ou douze ans sont employés à différens travaux. Les prêtres, qui vont à Sis compléter leur instruction dans le monastère patriarcal, sont, à quelques rares exceptions près, les seuls lettrés du pays. Du reste l’idiome zeïthounien, qui est un patois de l’arménien vulgaire, n’est encore représenté par aucun monument littéraire. Parlé concurremment avec la langue turque, il a emprunté à cette dernière une foule de locutions qui altèrent chaque jour le patois zeïthounien. On prétend que les Turcomans sujets du Zeïthoun parlent le même idiome que les Arméniens; si le fait est constaté, c’est un phénomène remarquable à signaler dans l’histoire de la linguistique. Chacun sait en effet que la langue turque, qui, grâce à l’admirable conjugaison de ses verbes, peut être facilement apprise, s’est imposée sans peine à toutes les races conquises, tandis que ni les Arméniens ni les juifs n’ont pu propager leurs idiomes, ni les faire accepter aux populations chez lesquelles ils sont établis, même en assez grand nombre.

Comme chez taus les peuples montagnards, on trouve chez les Zeïthouniens quelques chants populaires, seuls produits de la littérature nationale. Ces chants sont pour la plupart religieux et ressemblent à des hymnes détachées du Charagan[1]; les autres sont des chants de guerre ou de fête. Un seul m’a paru avoir un certain caractère d’originalité; il fut composé par un varlabed après la défaite de Kourschid-Pacha, gouverneur de Marach, par les Zeïthouniens en 1859. En voici la traduction :


« Accourez, mes frères, venez entendre le récit de nos hauts faits; comment l’infidèle Kourschid, qui voulait nous anéantir, fut écrasé.

  1. Charagan, le livre des hymnes de l’église arménienne.