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avons essayé d’indiquer les difficultés et les complications, problèmes qui se rattachent aux plus hautes questions de la politique, du droit, de l’administration, de la science économique, dans quel ordre de fonctionnaires puisera-t-on l’homme appelé à les étudier jour par jour et à les résoudre?... à quoi bon insister? Qu’il se rencontre parmi les militaires des hommes d’élite qui à leur mérite professionnel joignent la connaissance ou l’intuition des questions coloniales, et que le gouvernement les choisisse, rien de mieux : ce choix aura plus d’une fois l’occasion de s’exercer légitimement dans les rangs élevés de notre armée; mais que le gouvernement persiste à ne demander qu’à une seule catégorie des serviteurs de l’état, si distinguée qu’elle soit, l’homme rare qu’il faut pour suffire à une pareille tâche, au lieu de le demander à la nation tout entière, c’est ce que l’on a peine à comprendre. Serait-ce que l’on verrait dans le commandement militaire une puissance de prestige et d’éclat indispensable pour contenir dans le respect les colons ou les nègres, ou du moins les populations guerrières de l’Algérie? Ce sont probablement les militaires qui font courir ce bruit-là. Un bon général, sous un gouvernement civil, battrait tout aussi bien les Arabes que s’il était le gouverneur en personne. Voyez ce qui vient de se passer dans l’Inde. Une insurrection formidable éclate. Il n’a pas été nécessaire de remplacer lord Canning par un général pour en triompher; mais peut-être a-t-on reculé devant le rappel d’un pair d’Angleterre, d’un personnage influent et estimé? Non. Après lord Canning, c’est lord Elgin, un autre civil, qui a été nommé vice-roi de l’Inde encore toute frémissante. Nous avons sous les yeux un tableau dans lequel lord Grey a indiqué les noms et qualités de cinquante-quatre gouverneurs de colonies qui ont été en exercice sous son administration. Parmi ces cinquante-quatre noms, quatorze seulement appartiennent à l’armée ou à la marine. C’est donc en Angleterre une question de principe que, les gouverneurs étant pris dans toutes les carrières indistinctement, les choix militaires forment l’exception. La France s’inspire d’un principe tout opposé. De ces deux principes, lequel est le plus rationnel et le meilleur? Il ne s’agit pas ici d’un parallèle oiseux entre le militaire et le civil. Il suffit de réfléchir aux conditions et aux études que réclame l’administration coloniale pour s’expliquer comment, ayant toujours été gouvernées par l’autorité militaire, nos colonies en général, l’Algérie en particulier, en sont au point où nous les voyons.

La colonisation est l’une des grandes œuvres de notre temps, et le génie moderne peut s’enorgueillir des sentimens nouveaux qu’il a fait prévaloir dans l’accomplissement de la mission civilisatrice