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trouvera point la formule d’une loi universelle s’appliquant à toutes les circonstances et à tous les pays. Si toutes les sociétés étaient organisées selon les mêmes lois politiques et économiques, si partout le législateur avait respecté les rapports naturels entre la production et la consommation, la solution du problème serait des plus simples, ou plutôt il n’y aurait point de problème. Il suffisait de laisser agir la liberté. La population, surabondante sur un point, se transporterait là où elle aurait avantage à se fixer; le capital irait chercher le sol qui lui offrirait l’emploi le plus profitable. La répartition de ces deux élémens de production entre les diverses régions de la terre se ferait d’elle-même, dans les proportions convenables et rationnelles, au gré des intérêts individuels et nationaux, d’accord avec les desseins de la Providence, qui nous a livré le globe pour qu’il fût habité et exploité. Mais est-il besoin de faire remarquer combien cette situation, si simple à l’origine, s’est trouvée peu à peu compliquée par l’intervention des lois humaines? Ici la constitution du régime politique créant des classes sociales, des castes, des inégalités artificielles, là le mécanisme du régime fiscal, ailleurs les délimitations arbitraires imposées aux nations, presque partout enfin des circonstances, des caprices contraires à la nature des choses, ont dérangé l’équilibre des élémens économiques. Les relations entre la production et la consommation, entre la population et le sol, entre le profit du capital et le salaire du travail, se sont fréquemment modifiées tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, par l’effet de causes purement locales et temporaires, de telle sorte qu’au lieu de s’attacher à une théorie générale sur l’émigration, l’économiste pratique doit considérer séparément l’émigration dans chaque pays, et déclarer, par la seule observation des faits, si elle présente ici et là des inconvéniens ou des avantages.

Les deux pays qui en Europe fournissent le plus fort contingent à l’émigration sont l’Irlande et l’Allemagne. On estime que, depuis le commencement de ce siècle, près de trois millions d’Irlandais ont quitté le sol natal et sont allés se fixer à l’étranger ou dans les colonies. Il ne saurait y avoir de doute sur les bienfaits qu’a procurés à l’Irlande ce déplacement de population : toute discussion sur ce point serait superflue. Moins considérable, l’émigration d’Angleterre et d’Ecosse atteint encore chaque année un chiffre assez élevé, et si dans l’origine quelques hommes d’état ont vu avec défiance ce courant s’établir, les faits se sont chargés d’éclairer complètement la question. L’accroissement normal de la population ne s’est point ralenti; les bras n’ont point manqué au travail de la métropole; aucune des forces productives n’a été atteinte. Aujourd’hui il n’est pas un économiste anglais qui ne regarde l’émigration comme un