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pays tout entier, et bien que ce fût dans les deux ordres une minorité, elle était si considérable et si honorable qu’elle pouvait devenir, pour le tiers-état comme pour la couronne, un puissant allié. Que fùt-il arrivé si cette chance eût été saisie, si la couronne, le tiers-état et la minorité de la noblesse et du clergé se fussent intimement unis pour accomplir de concert les réformes nécessaires et fonder ensemble un gouvernement libre? Je n’oserais affirmer qu’ils auraient réussi : les conjectures sur ce qu’aurait pu être le passé sont presque aussi incertaines que les prédictions sur l’avenir; mais à coup sûr on eût marché ainsi dans la bonne voie, on eût mis à profit ce qu’il y avait d’unanimité et d’harmonie dans l’élan national.

Pourquoi cela n’est-il pas arrivé? Comment cette grande génération de 1789, qui voulait si ardemment et si sincèrement la réforme sociale et la liberté politique, s’est-elle lancée ou a-t-elle été entraînée dans les ténèbres et les tempêtes de la révolution?

À cette question, j’écarte en ce moment une partie de la réponse. Les fautes de la royauté et de ses entours ont été pour beaucoup dans les revers de la liberté et les emportemens de la révolution. La tâche du pouvoir est si rude, surtout en de telles crises, que ni La bonté ni la vertu ne le dispensent de l’habileté et de la fermeté. Mais il y a maintenant peu d’utilité, et pour mon compte je n’ai nul goût à étaler la part de Louis XVI et de sa famille dans les causes des malheurs de la France et des leurs propres; ils ont payé si cher et si douloureusement expié leurs fautes qu’il y a une barbarie grossière et subalterne à en accabler incessamment leur mémoire. On essaie trop d’ailleurs de décharger ainsi, de la responsabilité qui leur revient, les partis et les hommes qui, à cette époque, sont successivement devenus les maîtres de la France. La France elle-même a sa part dans cette responsabilité, car une nation qui aspire à être libre ne peut alléguer avec honneur qu’elle a subi, comme un troupeau, les volontés perverses ou folles de ses conducteurs. Ce sont donc les erreurs générales, les fautes communes de la grande génération de 1789 que j’ai à cœur de rechercher. Il m’est arrivé de dire un jour à la tribune que « sans doute, dans leur séjour inconnu, ces nobles âmes, qui ont voulu tant de bien à l’humanité, se réjouissent de nous voir éviter les écueils où sont venues se briser tant de leurs belles espérances. » Notre cause est encore la leur, et je crois leur rendre hommage en signalant aux fils ces écueils qu’ont aperçus trop tard les pères.

Trois idées politiques étaient, en 1789, professées et répandues : idées confuses et obscures dans la plupart des esprits, mais au fond dominantes. Je les reproduis telles qu’elles ont été exprimées sous leur forme la plus simple et la plus franche : « Nul n’est tenu d’obéir