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était contre les injures du ciel, et, en grande véhémence d’esprit, déployant ses bras, le tournait, le retournait, le brouillait, le barbouillait, le renversait, le battait, le culbutait, le détraquait, le tripotait, le lançait, le clouait, l’entravait, le tracassait, le ramassait, le cabossait, le goudronnait, le terrassait, l’enharnachait, l’empanachait, le caparaçonnait, le faisait rouler, le précipitait du haut en bas, de bas en haut le rapportait, comme Sisyphe fait sa pierre, tant que peu s’en fallut qu’il ne le défonçât ! Ce voyant, quelqu’un de ses amis lui demanda quelle cause le mouvait à tourmenter ainsi son tonneau, auquel répondit le philosophe que, à autre office n’étant par la république employé, il tempêtait son tonneau en cette façon pour, entre ce peuple tant fervent et occupé, n’être pas seul cessateur et oisif. » Le réalisme, qui s’inquiète si peu des idées, fait souvent comme Diogène : plus l’activité humaine se multiplie dans tous les champs de la pensée, plus il tourmente son tonneau vide.

Il y avait pourtant un moyen de relever ces peintures africaines et de leur donner l’intérêt qui leur manque : c’était d’opposer à la barbarie orientale cette civilisation gréco-latine qui devait accueillir plus tard si naturellement la lumière de l’Évangile, et qui déjà en ces siècles sombres était le salut du genre humain. Cette belle idée, que l’auteur aurait pu rendre plus sensible que jamais, il n’y en a point trace dans son œuvre. Je cherche vainement parmi les acteurs du drame un concitoyen de Régulus, et quant au Grec Spendius, on a vu quelles qualités de l’esprit hellénique représente ce personnage avili. M. Flaubert, j’ai regret à le dire, a passé à côté d’un grand sujet sans paraître en soupçonner la valeur.

Si la pensée fait défaut dans le récit de M. Flaubert, si l’intérêt moral est nul, en admirerai-je du moins les parties extérieures ? Il y a de belles descriptions dans Salammbô, car il faut bien qu’il y ait quelque chose dans une œuvre si patiemment composée. Puisque ce roman n’est qu’une longue suite de tableaux, il est impossible que la richesse du coloriste ne fasse pas oublier en plus d’un endroit l’insignifiance du penseur. Le festin des mercenaires est une large peinture, pleine de mouvement et de vie. La bataille du Macar, la scène des lions après le carnage, çà et là quelques paysages d’Afrique, révèlent un pinceau original. Pourquoi faut-il que ce pinceau ignore ou dédaigne les lois de la perspective ? Lorsque M. Flaubert connaîtra l’art du clair-obscur, il ne donnera plus la même valeur aux choses les plus disparates, il n’entassera plus tous les objets sur le même plan, et s’il trouve quelque inspiration heureuse, quelque motif ingénieux ou grandiose, il se gardera bien de le noyer au sein de cette lumière dure, âpre, métallique, qui efface toutes les teintes et confond toutes les