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prophylactique infaillible contre les maux qu’il appréhende. On appelle révolution tout changement opéré subitement par l’action directe ou indirecte de la force dans la forme du gouvernement. Or de nos jours, à l’exception de ces deux extrêmes, la Grande-Bretagne et la Russie, quel pays a échappé aux révolutions ? Je lis l’avenir dans le passé, et je répète que le siècle est révolutionnaire. Dans la France si riche en expériences médiocrement encourageantes, quel parti n’a pas mis au moins une fois son recours dans les révolutions ? Ceux qui les anathématisent n’ont d’espoir qu’en elles.

Il est donc difficile de rayer les jours révolutionnaires des almanachs de l’avenir ; mais il n’est pas moins sage de chercher à les éviter, et la crainte qu’ils inspirent doit faire songer aux réformes qui les préviennent. Les réformes libérales ont toujours passé pour avoir seules cette vertu. On est donc incessamment ramené à cette idée, quoi qu’on fasse, et il est impossible de résoudre ou même de discuter le problème de la politique du siècle en éliminant la liberté.

Une opinion puissante en a cependant autrement jugé. N’en atténuons pas la force, ne contestons pas l’existence des intérêts et des sentimens qui, dans les grandes crises politiques, demandent un maître. Dès le temps d’Ésope, on connaissait cette manière d’en finir avec la république. Il prend quelquefois à la société comme un dégoût d’elle-même : cette lassitude, Tacite la signalait déjà[1] ; mais pourquoi chercher au loin les exemples ? N’avons-nous pas le plus grand de tous dans notre histoire ? Qui moins que moi aurait droit de le récuser ? Nous sommes les enfans de ceux qui ont cru la révolution française heureuse d’aller cacher ses fautes et ses malheurs dans les plis d’un drapeau victorieux et se réfugier à l’ombre d’un grand nom. Je puis hésiter à croire indispensable cette tutelle temporaire ; mais comment méconnaîtrais-je les louables sentimens, l’amour de l’ordre, la haine de l’anarchie, le dégoût des destructions révolutionnaires, la confiance dans la supériorité constatée par de grandes actions, enfin tout ce qui précipite les bons citoyens dans l’asile que leur ouvre la dictature ? Ce qu’il ne faut pas supporter, c’est la théorie qui s’élève aussitôt pour leur persuader que ce refuge de naufragés est le vrai domicile des grandes nations, et qu’en croyant se tirer seulement de péril on a rencontré juste l’état normal des sociétés. Les. doctrines inventées après coup pour faire trouver bon un pouvoir sans limite à l’ancien régime comme réparateur, à la démocratie comme nouveau-venu, m’ont toujours paru

  1. « Cuncta discordiis civilibus fessa, sub nomine principis, imperium accepit. » (Tacit., Annal. I.)