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dans tous les pays soumis au saint-siège, voilà la situation qu’on trouvera partout, plus ou moins nettement accusée, suivant que les institutions laissent plus ou moins de latitude à la manifestation des idées et des passions, ou que les circonstances particulières communiquent plus ou moins d’irritation au débat.

Cette situation a des conséquences plus fâcheuses que ne le croient ceux qui n’ont point réfléchi sérieusement aux conditions de l’ordre et du progrès dans les sociétés de nos jours. Elle doit aboutir, non à ruiner précisément tel ou tel dogme, ce qui ne serait qu’une affaire de secte, mais à affaiblir, à déraciner le sentiment religieux. En effet, si l’église, pour rétablir sa domination et asservir la société laïque, s’appuie sur le sentiment religieux, ceux qui voudront repousser cette domination seront nécessairement conduits à attaquer le sentiment dont on fait un instrument de règne et une arme de combat. La lutte sera ainsi transportée jusqu’au fond des consciences, et un esprit d’hostilité systématique contre la religion ne pourra manquer de naître. Sans doute, et pour plusieurs raisons, on peut soutenir qu’il est bon de pénétrer au fond même des questions, et de transporter enfin le débat sur le terrain des principes nettement affirmés ou franchement combattus, mais généralement on ne dira point qu’il est désirable que toute croyance religieuse soit définitivement ruinée. Aux idées établies, on voudra en substituer d’autres; on ne répétera plus le mot du XVIIIe siècle : « Je vous délivre d’une bête féroce, et vous me demandez par quoi je la remplace. » Si l’on y regarde de près, on reconnaîtra même que c’est pour les états libres, ou qui aspirent à le devenir, que le divorce complet de l’esprit de religion et de l’esprit de liberté est le plus funeste, car les ministres du culte dominant auront toujours une grande influence sur une partie notable de la population, spécialement sur les femmes, sur les habitans des campagnes. Or, s’ils exercent cette influence pour miner l’ordre politique et social, jamais l’état n’aura d’assiette solide, ni la liberté de fondemens assurés. Les bases mêmes de la société seront sans cesse ébranlées, et toujours on risquera de tomber, soit dans l’anarchie, soit dans le despotisme.

D’autres maux encore sont à craindre dans l’ordre politique non moins que dans l’ordre religieux. Il en est deux qui frappent au premier abord.

C’est surtout dans un temps comme le nôtre, où les intérêts matériels occupent une si grande place, qu’une action plus forte, plus intime de la morale serait nécessaire. Plus l’humanité acquiert de