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irréprochable, aussi nets, dit l’expression anglaise, que s’ils sortaient d’un carton à chapeau, — ce que nous traduirions en français par tirés à quatre épingles. Leur marche, plus ou moins grave ou précipitée, se règle sur les mouvemens de l’horloge, à laquelle ils ne manquent point, chemin faisant, de regarder l’heure. Le portier de la Banque, avec toute la solennité d’une consigne, étale sur le seuil son antique costume rouge somptueusement relevé d’or. Les abeilles se précipitent dans la ruche par toutes les entrées. La journée de travail dure de neuf heures du matin à trois heures du soir. La plus sévère discipline règne dans les bureaux. Le travail de chacun n’a rien d’excessif, mais on exige qu’il soit fait avec la plus grande précision et avec zèle. Le système d’administration est tellement parfait qu’il indique sur-le-champ avec l’exactitude d’un instrument automatique la moindre irrégularité. Les salaires et appointemens s’élèvent à près de 240,000 livres sterling par année, auxquelles il faut ajouter encore une vingtaine de mille livres sterling pour les pensions servies aux anciens employés.

À trois heures, plusieurs des clerks sont libres ; quelques-uns d’entre eux reviennent toutefois à la Banque dans la soirée, non par devoir, mais pour leur agrément. Il existe en effet dans une des ailes de l’édifice une grande et belle salle qui a été convertie en une bibliothèque ou library. L’idée de cette bibliothèque a été suggérée à l’origine par un gouverneur, M. Thompson Hankey, qui avait offert la salle et une dotation de 500 livres sterling pour mettre l’affaire en train. Les frais ont été supportés par mie souscription volontaire des clerks, qui s’élève pour chacun d’eux à 10 shillings. Il y a aujourd’hui cinq cents membres, représentant une somme de 250 livres par année. La bibliothèque possède neuf mille volumes, mais elle s’accroît de jour en jour par des dons volontaires. J’y ai vu des ouvrages rares et de grand prix. Les clerks peuvent passer là une partie de la soirée ; un grand feu brille dans la cheminée, une longue table recouverte d’un tapis vert est chargée de revues anglaises et étrangères ; d’autres petites tables sont distribuées dans les coins de la salle avec un jeu d’échecs et une carafe d’eau. On se sépare à sept heures du soir ; beaucoup d’employés habitent en effet des quartiers de Londres très éloignés de la Banque ; d’autres vivent même à la campagne, et ne se rendent à la bibliothèque que pour y emprunter des volumes. Le nombre de ces ouvrages prêtés est en moyenne de cent soixante par jour. Il suffit d’ailleurs de regarder la couverture pour être certain qu’ils ont supporté d’honorables services. Un des chefs me disait en riant : « Quand vous verrez, dans un wagon de chemin de fer, un inconnu à manières correctes avec un volume bien graisseux ouvert entre les mains, vous pouvez être sûr que c’est un clerk de la Banque. »