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homme en livrée : c’est le Stork-Exchange, ou la Bourse des fonds publics. Les profanes, c’est-à-dire tous ceux qui n’appartiennent point à la confrérie des souscripteurs (subscribers) et de leurs commis (clerks), sont rigoureusement exclus des portes du temple. Si pourtant, grâce à la recommandation d’un des initiés, vous réussissez à faire lever la consigne, vous vous trouvez dans une grande salle ouverte aux hommes d’affaires depuis 1802. Soutenue par une double rangée de colonnes entourées à la base d’un banc de bois, cette salle ressemble, pour le bruit et la confusion des langues, à toutes les bourses du monde. Au milieu de ce tumulte et du va-et-vient perpétuel, vous distinguez dans cette foule affairée deux sortes de caractères, les stock-jobbers et les stock-brokers. Les jobbers remplissent à peu près le rôle dévolu à nos agens de change : ils fixent et déterminent entre eux le cours des fonds publics. Les brokers sont des courtiers qui servent d’intermédiaires entre le jobber et l’acheteur de rentes ; ils offrent en outre une garantie à la Banque, et l’aident à écarter la fraude en vérifiant l’identité des personnes entre lesquelles se concluent les transactions. Ces grands-prêtres du monde de l’argent ont volontiers leurs bureaux ou leur sanctuaire dans le voisinage, au rez-de-chaussée de rues étroites et détournées, au fond de petites cours ou d’allées obscures. Ils se distinguent par une toilette correcte et à peu près uniforme, de rares favoris, un front le plus souvent chauve avant l’âge, et un air de réflexion qui n’exclut point la promptitude électrique des actes ni des démarches. Le Stock-Exchange est regardé par quelques moralistes comme un antre de spéculation (den). Ce qui lui a valu cette mauvaise renommée est le caractère souvent équivoque des marchés à terme. Ici les joueurs, car cet ordre de transactions constitue un véritable jeu, se divisent en ours et en bœufs. Les ours (bears) sont ceux qui spéculent sur la baisse ; ils ont la réputation de voir tout en noir et de se nourrir des calamités publiques. Les bœufs au contraire (bulls) tiennent pour la hausse, et les choses se présentent à leurs yeux tellement couleur de rose qu’elles en deviennent presque rouges. Ces derniers se subdivisent eux-mêmes en deux classes dans l’histoire naturelle du Stock-Exchange ; il y a les bœufs faibles et les bœufs forts. Les bœufs faibles (weak bulls) sont ceux qui peuvent avoir à un haut degré l’ardeur et le courage des affaires, mais qui, n’ayant point d’argent, sont obligés de s’appuyer sur les bœufs forts (strong bulls) pour faire hausser le mouvement du marché. Sans m’arrêter d’ailleurs aux combinaisons aléatoires, je suppose qu’une personne a cédé à une autre son inscription sur le grand-livre par l’intervention du stock-broker ; il faut maintenant régulariser le transfert, et cette dernière formalité nous ramène dans les stock-offices de la Banque, bureaux des fonds publics.