Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tes[1]. Les conséquences de ces illusions en matière d’argent ne tardèrent point à se déclarer, et ce fut surtout la Banque d’Angleterre qui les supporta. Elle vit ses caisses assiégées chaque jour du matin au soir par une population nombreuse et effrayée qui demandait le paiement des bank-notes. C’était en même temps à qui escompterait les billets à ordre. La Banque combattit la peur par la fermeté, par la confiance en elle-même ; comme Wellington à Waterloo, qui avait résolu de tenir jusqu’au dernier homme, elle jura de tenir jusqu’au dernier écu. Cependant l’or s’écoulait de ses caves. En un seul jour, elle avait escompté 4,200 billets. Les sacs de 1,000 souverains ne faisaient que paraître et disparaître à chaque instant sur les comptoirs de la Banque. On commençait à trembler quand un des directeurs découvrit par hasard une boîte contenant de six à sept mille notes d’une livre sterling chacune[2] qui étaient toutes préparées pour l’émission ; une pareille circonstance frappa l’attention des autorités de la Banque, et l’on demanda au gouvernement la permission de lancer ce papier-monnaie, qui n’avait plus cours en Angleterre depuis quelque temps. À dater de cette mesure, la situation se détendit, et la Banque se retrouva debout, ayant même fortifié son crédit dans la tempête. Le gouverneur d’alors avait payé de sa personne durant la crise, et j’ai pu lire, écrit de sa main, un mot que je m’en voudrais de passer sous silence, tant j’y retrouve bien un trait du caractère britannique : « Il m’arriva, dit-il, de ne point voir mes enfans pendant toute cette semaine-Là ! »

Aujourd’hui la Banque d’Angleterre jouit d’une situation très florissante ; mais il est bon de savoir sur quoi elle compte pour dominer les éventualités contraires. Son capital est de 14 millions 1/2 de livres sterling, sur lesquels elle paie un dividende ; elle a en outre 3 millions de la même monnaie qui ne paient rien à personne. En d’autres termes, elle possède 17 millions 1/2 pour servir un dividende de 14 1/2. Ces 3 millions de différence forment sa réserve, sa citadelle, et c’est derrière un tel retranchement qu’elle espère bien tenir tête, quoi qu’il arrive, aux attaques imprévues de la fortune. Jusqu’en 1832, les paiemens se faisaient à la main ; la plus forte somme que vingt commis pussent distribuer de cette manière, depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures du soir, était environ de 50,000 livres sterling en or. Cette méthode ne répondant

  1. Un des projets de 1825 donnera une idée de l’état merveilleux auquel s’était élevé alors l’esprit d’entreprise : une société menaça de se former pour dessécher un des bras de la Mer-Rouge et y retrouver les trésors qu’y avaient laissés les Égyptiens engloutis au moment où ils poursuivaient les Israélites.
  2. Le montant des bank-notes a beaucoup varié ; dans l’origine, les plus faibles étaient de 20 liv. sterl. ; en 1795, la corporation introduisit les notes de 5 livres ; plus tard, c’est-à-dire en 1797, elle émit des billets d’une livre, qui furent ensuite retirés de la circulation.