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pier éparpillés ? Ainsi que les hommes, ils ont des destinées bien différentes : les uns traversent les mers et s’enfuient jusqu’aux extrémités de la terre, tandis que d’autres quittent à peine les murs de Londres ; ceux-ci passent de main en main, le dos tout couvert de signatures, tandis que ceux-là dorment tranquillement dans le portefeuille d’un homme riche ; mais en général ils se mêlent à toutes les actions de la vie, au bien comme au mal, ayant tantôt sur la conscience des péchés mortels, servant aussi quelquefois d’intermédiaires à la bienfaisance, à la probité et aux vertus domestiques. Les mille services des billets de banque étant bien connus, je ne m’arrêterai qu’à des usages auxquels n’avait jamais songé l’administration chargée de les émettre. Vers la fin du dernier siècle, un voyageur anglais, qui avait perdu sa route dans les riches campagnes de l’Herefordshire, dirigea son cheval vers un pauvre cottage. Là il avisa une fenêtre dont un des carreaux brisé avait été remplacé par la copie manuscrite d’une vieille ballade pour intercepter l’action du vent ; mais à côté de la ballade était collée à la vitre une bank-note de 20 livres sterling. Le couple centenaire auquel appartenait ce cottage ne savait ni lire ni écrire. Qu’on se figure la joie des vieux époux en apprenant de la bouche du voyageur l’existence d’une somme d’argent qu’ils possédaient sans la connaître ! Une autre note de 5 liv. sterl. fut entraînée par le courant des affaires, au commencement de ce siècle, dans la maison d’un négociant de Liverpool, qui lut avec surprise sur le dos du billet : « Si cette note tombe jamais entre les mains de John Dean, à Longhill, près de Carlisle, il saura que son frère André est prisonnier à Alger. » Le fait fut alors publié par un journal, et de proche en proche la nouvelle arriva jusqu’à la famille du captif qui avait lancé à tout hasard ce singulier message.

La vie d’un billet de banque est généralement assez courte. Par vie, il faut entendre ici l’espace de temps qui s’écoule entre le moment où il est sorti de la Banque et celui où il y rentre. Toute note étant une promesse, on comprend en effet qu’elle tende naturellement vers une réalisation. On pourrait toutefois citer des exceptions singulières à la destinée commune de ces valeurs représentatives qui durent peu. J’ai vu dans les archives de la Banque une note qui, émise en 1724, ne retourna vers la source que le 20 juillet 1860. Qu’on calcule seulement les intérêts à 5 pour 100, et l’on trouvera que ce papier-monnaie a perdu en restant oisif, ou en faisant l’école buissonnière, une somme très considérable.

La rentrée des billets de banque donne lieu à un service très important qui s’exécute dans une grande et ancienne salle où se trouvent rangés, selon l’ordre des fonctions, cent employés (clerks) et vingt manœuvres (mechanics). Les bank-notes arrivent générale-