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armé d’une simple canne. Après la lutte, son premier soin fut de calmer ses soldats et de soustraire les prisonniers à leur fureur. Ne pouvant arracher M. de Raousset à la mort, sous peine d’être lui-même accusé de trahison, il tâcha du moins d’adoucir l’amertume de ses derniers jours à force de prévenances et de respect. Quant aux autres Français pris les armes à la main, il parvint à les sauver tous, même ceux qui avaient trahi leur serment de fidélité au drapeau mexicain. Il poussa la générosité jusqu’à faire remettre une somme d’argent à chaque prisonnier, et la délicatesse jusqu’à prier les officiers de vouloir bien accepter des armes de luxe semblables à celles qu’ils avaient perdues pendant le combat. Ces bons procédés lui coûtèrent son commandement ; en outre, le président Santa-Anna cassa les décisions qu’avait prises le général Yañez, et, comprenant le droit de grâce à sa manière, trouva bon de condamner à mort les officiers insurgés, et les soldats à dix années de détention. Heureusement ce décret resta lettre morte, grâce aux temporisations des généraux mexicains chargés de l’exécuter. La position de M. Vigneaux et de ses amis n’en resta pas moins très critique aussi longtemps que dura leur séjour sur le territoire de la république.

Pendant près d’une année de voyages, d’abord en qualité de prisonnier, puis comme fugitif, M. Vigneaux a pu étudier le Mexique sous ses principaux aspects. Il a traversé le pays d’une mer à l’autre mer ; il a tour à tour habité des prisons, des hôpitaux, des casernes, des auberges, des ranchos et des palais ; il a dû frayer avec des hommes de toutes les classes et de toutes les races, prisonniers, soldats, prêtres et marchands. Indiens, métis, mulâtres et blancs « au sang d’azur. » Certes, dans l’état d’incertitude où se trouvait le voyageur français au sujet du sort qui lui était réservé, on comprendrait facilement qu’il eût pris en dégoût ces populations bigarrées, encore si misérables, si asservies, si dépourvues d’instruction ; mais tout au contraire, M. Vigneaux porte un jugement des plus favorables sur le peuple mexicain. Ce peuple est avide d’instruction et de progrès ; il aime et admire les étrangers, bien qu’il soit obligé souvent de se défier d’eux. Il les accueille volontiers comme des amis, mais se refuse à les avoir pour maîtres. Fier de sa patrie et jaloux de son indépendance, il garde toujours une certaine noblesse native qui lui permet de réagir contre sa destinée actuelle et d’avoir confiance dans l’avenir. Si les Mexicains n’ont pas été socialement régénérés depuis qu’ils ont reconquis leur autonomie, c’est que le régime d’oppression légué par l’Espagne n’a pas été modifié. Le bas clergé, qui, pour s’émanciper lui-même, avait soulevé les Indiens des campagnes au nom de la Vierge mexicaine de Guadalupe, ne fit rien après la victoire pour arracher le peuple à son ignorance et à ses superstitions. Les riches hacienderos continuèrent de faire travailler les peones comme autant d’esclaves, bien que la servitude fût nominalement abolie. Enfin le fisc suivit les erremens d’autrefois, et paralysa tout commerce, toute industrie nationale, en concédant à quelques monopoleurs, étrangers pour la plu-