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encore la partie d’orchestre qui accompagne la pantomime de Fenella, et surtout le finale où se noue la conspiration de Masaniello et du peuple napolitain contre le vice-roi. C’est une belle page de musique dramatique que ce finale si clairement bâti, et où domine une phrase délicieuse qui conduit le concert. Le troisième acte est presque aussi riche que le second en mélodies faciles et colorées. Après le duo assez insignifiant entre Elvire et Alphonse vient cette scène brillante du marché où le compositeur a peint avec une grâce merveilleuse les bruits, les éclats de rire et les sonorités diverses d’une foule joyeuse qui se presse et se heurte en plein soleil sur une place publique de Naples. Sur un motif qui persiste jusqu’à la fin de cette scène tumultueuse, on entend les cris des marchands offrant leurs denrées aux seigneurs qui circulent. Ce tableau brillant de la gaîté populaire, qui n’a pas tout à fait la désinvolture naïve de la gaîté italienne, est clairement dessiné, comme tous les morceaux d’ensemble de M. Auber, et ne renferme, après tout, qu’une harmonie très simple qui module fort peu. On a beaucoup imité depuis la couleur et la coupe de ce morceau remarquable, et M. Auber en avait déjà donné l’esquisse dans la jolie introduction du Maçon. La tarentelle exécutée par l’orchestre est d’un rhythme qui rappelle assez fidèlement les airs de danse du pays où se passe la scène, et elle prépare heureusement la prière en chœur :

Saint bienheureux dont la divine image
De nos enfans protège le berceau ;


prière douce, pleine d’onction et de sentiment. Il est suffisamment connu des amateurs que cette prière sans accompagnement, ainsi que celle du premier acte, faisaient partie d’une messe que M. Auber a composée dans sa jeunesse. Le manuscrit de cette messe est aujourd’hui la propriété de M. Gounod, qui l’a hérité de son beau-père, M. Zimmermann.

Le quatrième acte s’ouvre par la cavatine du sommeil, prière douce et suave où Masaniello cherche à soulager et à consoler la pauvre Fenella, sa sœur. C’est le morceau que M. Gueymard chante le moins mal. Après la scène très dramatique et très musicale toujours où Pietro, suivi de quelques compagnons, vient demander à Masaniello d’achever la victoire du peuple en immolant le vice-roi, Elvire invoque la pitié de Fenella dans une prière touchante : — Arbitre de ma vie, — qui est un des meilleurs morceaux de la partition. Mme Vandenheuvel chante ce bel air avec autant de goût, de style noble que d’émotion. La scène qui suit, le débat furieux entre Pietro, ses compagnons et Masaniello, qui se refuse à livrer le vice-roi à leur fureur, est vigoureusement traitée, et elle s’enchaîne heureusement avec le chœur et la marche triomphale qui commencent le beau finale du quatrième acte. Enfin, au cinquième acte, on remarque encore la jolie barcarolle que chante Pietro et le finale très accidenté qui termine cette œuvre vraiment remarquable, où l’inspiration, servie par une science réelle et par un art exquis, s’allie dans une juste mesure au sentiment dramatique.