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jugement très favorable. Dans un article de journal qui a été recueilli dans les œuvres posthumes de l’auteur du Freyschütz, Weber appelle Hoffmann un musicien de génie[1]. Il signale plusieurs morceaux remarquables dans l’Ondine un air au second acte, de jolis chœurs que chantent des paysans, ceux plus vigoureux des génies de la mer et de la terre, et surtout la couleur générale de l’ouvrage, qui, « depuis l’ouverture jusqu’à la scène finale, dit le grand maître, offrait un tableau saisissant de poésie et de vérité scénique. » Ce jugement de Weber n’a été partagé ni par le public de Berlin ni par l’opinion de l’Allemagne, qui n’a jamais pris au sérieux les compositions musicales de son écrivain humoristique. M. Fétis, qui a trouvé dans la bibliothèque de Berlin les opéras d’Hoffmann, les apprécie de la manière suivante : « J’ai pu les examiner à loisir, et ce n’est pas sans étonnement que j’ai constaté que cet homme manque d’imagination et ne s’élève jamais au-dessus du médiocre dans sa musique. Son grand-opéra romantique, Ondine, n’a de romantique que le sujet. La partition est convenablement écrite, mais c’est tout ce qu’on en peut dire. Ni les mélodies, ni l’harmonie, ni les modulations ne révèlent le génie. Les critiques que cet ouvrage lui suscita excitèrent sa bile et ses sarcasmes ; mais, après les premiers accès de mauvaise humeur, il retira sa partition et ne voulut plus en entendre parler[2]. »

Après bien des retards occasionnés par le triste accident de Mlle Livry, l’Opéra a pu donner le 19 janvier la reprise de la Muette de Portici, qu’il promettait depuis si longtemps. Ce bel et charmant ouvrage, qui jouit d’une si grande popularité aussi bien en France qu’en Europe, a été accueilli presque avec enthousiasme. Le public a été ravi de réentendre ces chants émus, ces mélodies faciles et pénétrantes qu’il sait par cœur, cet orchestre si vivant, si bien nourri d’une harmonie exquise qui ne cesse de parler et d’enchanter l’oreille. La Muette de Portici, dont le libretto si intéressant est de Scribe et Germain Delavigne, fut représentée pour la première fois le 29 février 1828. M. Auber avait alors quarante-six ans, et il avait déjà produit dix ou douze ouvrages à l’Opéra-Comique, dont les plus connus sont la Neige, le Concert à la cour, le Maçon, en 1824, et Fiorella, en 1826. Le succès éclatant de la Muette tira M. Auber hors de la mêlée de ses concurrens et le mit en très grande évidence. Après la Muette, après la mort de Boïeldieu et celle d’Hérold, resté seul sur le champ de bataille, M. Auber a produit, dans le genre particulier où brille son facile génie, une série de chefs-d’œuvre qui ont agrandi et consolidé sa réputation. Malgré la fécondité vraiment prodigieuse de M. Auber, on peut affirmer que les plus aimables et les plus exquises qualités de son talent sont condensées dans les ouvrages suivans : le Maçon, la Fiancée, Fra-Diavolo, le Philtre, le Domino

  1. J’ai emprunté quelques-uns de ces détails à un petit volume intéressant de M. Champfleury, Contes posthumes d’Hoffmann, chez Michel Lévy.
  2. Biographie universelle des Musiciens, deuxième édition, 4e volume.