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REVUE MUSICALE.

La saison s’avance, les théâtres en général s’enrichissent à peu de frais, et rien ne paraît à l’horizon qui annonce quelque événement nouveau et intéressant. Le monde cependant paraît content de son sort. Il accourt à toutes les fêtes qu’on lui donne ; il applaudit à tout ce qu’il voit et à tout ce qu’il entend, et pourvu que l’heure présente s’écoule légèrement, il est heureux et n’en demande pas davantage. Aussi gardez-vous bien de troubler la jouissance de ce public affamé de plaisirs faciles par des considérations chagrines, ne vous avisez pas de lui dire ou de lui faire entendre que son goût pourrait être plus difficile et plus pur, et que jamais on n’a vu tant d’œuvres médiocres et tant de réputations éphémères acclamées par un si fol enthousiasme. Des paroles aussi justes seraient mal accueillies, et vous seriez considéré comme un trouble-fête, comme un esprit morose que rien ne peut satisfaire, et qui réserve son admiration pour les choses qui ne sont plus et pour les chefs-d’œuvre enterrés. — Il faut vivre avec son temps, vous dit-on, s’accommoder de ce qui est, reconnaître ce qui se fait de bon, et ne point empêcher les nouveaux talens de se produire par la comparaison inopportune des siècles glorieux et des génies qui ne sont plus. Chaque époque a son caractère, ses besoins, ses goûts et son idéal, qu’elle poursuit et qu’elle s’efforce de réaliser par les nouveaux moyens dont elle dispose. C’est ainsi que le siècle de Louis XIV a fait son œuvre, que le siècle suivant a fait la sienne, et que nous, enfans heureux de la révolution, avons créé une société, des lois, des arts et une littérature à notre image, qui répond à nos goûts et à nos besoins, et qui occupera une grande place dans l’histoire de la civilisation. C’est donc une très mauvaise disposition d’esprit que de venir décourager les efforts des contemporains par une admiration sénile des choses qui ont vécu leur vie, et de troubler l’illusion des vivans par des lamentations incessantes sur les temps passés. Faites comme nous, oubliez ce que vous savez, soyez jeune, arrogant, facile et de bonne humeur ; laissez là les principes abstraits et les niaiseries esthétiques qui ne prouvent jamais rien et qui empêchent la sensibilité de s’épanouir. Ne vous occupez que du fait, que de la sensation, qui importe avant tout. Oubliez les Palestrina, les Bach, les Handel, les Marcello, et toutes ces glorieuses ganaches qui vous empêchent de voir et d’entendre ce qui se fait de bon de nos jours. Est-il besoin de savoir le contre-point et la fugue pour apprécier une ariette ? Faut-il avoir étudié la rhétorique d’Aristote pour sentir le prix d’un couplet à Chloris ? L’histoire est un thème commode que chacun peut varier à sa manière ; c’est une mine de sophismes où chaque parti trouve des argumens pour sa cause. Le vrai et le beau absolus sont des chimères que l’homme entrevoit peut-être, mais qu’il ne peut jamais at-