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vaste public. Sous le régime de la presse libre, rien n’eût été plus naturel ; c’eût été l’affaire de vingt-quatre heures. La simple concurrence, à défaut de générosité, eût forcé tous les journaux à prêter sur-le-champ leur publicité à l’œuvre de la bienfaisance nationale ; les retardataires se fussent couverts de honte. La France, sans perte de temps, eût été avertie et eût couru au secours des malheureux. Considérant la presse au point de vue des services pratiques qu’elle est appelée à rendre à nos sociétés modernes si actives, et qui ont un si constant besoin des communications rapides, nous l’avons comparée plus d’une fois aux chemins de fer et à la télégraphie électrique. Libre et sous la main du comité des secours, elle eût agi au profit des malheureux avec la promptitude de la vapeur et de l’électricité. Au lieu de cela, qu’avons-nous vu ? Le comité, de peur de compromettre son œuvre, n’a pas osé s’adresser directement à la presse : c’est un tort, nous le voulons bien ; mais ce tort ne s’explique-t-il point et n’est-il pas excusé par l’état politique du pays et les mœurs craintives et inertes que cet état politique a si longtemps entretenues ? Qu’a fait le comité s’abstenant par prudence d’entrer en relations directes avec les journaux ? « La grande voie de communication nous étant à peu près fermée, comme dit avec un spirituel bon sens un de nos correspondans, nous nous sommes servis de tous les chemins vicinaux qui étaient à notre portée. » Ces chemins vicinaux, c’étaient les lettres manuscrites répandues à profusion par les membres du comité et appropriées à chaque destinataire ; c’étaient les relations commerciales de Rouen avec nos diverses villes utilisées par un patient travail de correspondances particulières. Si nous rappelons ces pénibles débuts, c’est pour faire honneur à l’opiniâtreté laborieuse du comité de Rouen. Certes voilà bien un exemple de la spontanéité énergique de quelques hommes ne reculant point devant un travail long et compliqué, s’abstenant, par un sentiment de prudence politique, d’user du moyen simple, universel et rapide que la civilisation a mis à la portée des sociétés modernes. Et quand quelques écrivains, quelques journaux allèrent au-devant de la vérité poignante qui n’osait point les venir chercher, ces journaux et ces écrivains ne iirent-ils pas preuve, eux aussi, de spontanéité énergique ? Pendant plusieurs semaines, n’ont-ils pas dû avoir le courage de rester isolés et surmonter le désappointement des maigres résultats d’une souscription d’abord délaissée ? D’autres journaux, faisant injure au gouvernement, dont la noble conduite a depuis démenti leur pusillanimité, n’ont-ils pas couvert leur inertie en affectant de redouter le déplaisir de l’administration ? Tous les obstacles ont été enfin vaincus par une confiante persévérance, chacun accourt maintenant sur cette grande et féconde route de la publicité ; mais en voyant les résultats qui se produisent, ne doit-on pas amèrement regretter le temps perdu, lorsque ce temps perdu représente l’indigence abandonnée sans secours suffisans, la misère accomplissant dans les ténèbres son travail de dévastation ? L’in-