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quand elle l’atteint. Le mépris des formes et des destinées sociales n’est point une preuve de génie, et il ne faut écrire ni pour énerver les caractères, ni pour exalter les passions. L’oubli de ces maximes de sens commun a peut-être été pour quelque chose dans l’état fâcheux où la révolution de février a surpris toutes les opinions. Elle est venue, et elle n’a que trop donné de motifs aux dévots pour prendre en pitié les affaires humaines, aux artistes pour se rire à leur tour de la sagesse des sages et de la prudence des prudens, aux rêveurs pour croire à l’instabilité des choses moyennes et à la facilité de tout tenter, aux timides pour tout craindre et chercher l’abri du pouvoir absolu. Que la réaction pût aller jusque-là, c’est ce qu’au lendemain du 24 février il était aisé de prévoir ; mais la probabilité n’est pas la nécessité, et ce qui était à craindre n’était pas inévitable. Que les hommes ne l’oublient pas : quoi qu’ils fassent, ils en répondent.


II

Malgré le grand nom de Montesquieu, on peut dire que le XVIIIe siècle a dédaigné en tout la science historique. Tandis que l’auteur de l’Esprit des Lois, contenant ou dissimulant la portée spéculative de son génie, s’efforçait de tirer tous ses principes de l’étude des faits et des institutions, et de découvrir la nature des choses dans la diversité et la succession des réalités politiques, ses contemporains ne recueillaient les souvenirs des peuples que pour constater et relever leurs erreurs et leurs fautes. Ils ne voyaient dans le récit des actions humaines que le tableau de l’œuvre des préjugés et des passions, et le passé ne leur semblait que la triste série des jeux d’une longue enfance qui précédait peut-être l’âge de raison. On peut dire qu’ils n’étudiaient l’histoire que pour avoir le droit de la mieux mépriser : le passé ne leur apprenait qu’à ne pas l’imiter. C’était, ou peu s’en faut, mettre en opposition directe la philosophie et l’histoire.

Il n’est pas sûr que ce fût là un trait particulier, un caprice accidentel de l’esprit du temps. On pourrait y retrouver un des caractères du génie de la France. Du moins, dès que notre nation, libre des fers du moyen âge, commença de penser par elle-même, consulta-t-elle plus sa raison que ses traditions, et peut-être, dans toute lutte entreprise contre le principe de l’autorité, est-il naturel que l’histoire ne soit pas invoquée de préférence par les agresseurs. La renaissance, cette délivrance de l’esprit humain, quoiqu’elle ait eu pour un de ses mots d’ordre le rappel des lettres et des arts à l’antiquité, donna aux sciences le signal de l’indépendance à l’égard de