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mier lieu ce qui pouvait l’excuser; mais franchement dans la Sorcière il y a bien de la physiologie et de la pathologie. Est-ce la vérité, oui ou non? nous dira-t-on sans doute, voilà toute la question... Non, ce n’est pas toute la question. En tête de plus d’un roman, nous avons entendu l’auteur justifier ses tableaux en nous disant que l’artiste n’était pas cause si la réalité était ce qu’elle était. La justification est mauvaise. Pour peu que nous descendions en nous-mêmes, nous savons bien qu’il y a un sentiment dont nous sommes responsables, celui qui nous a fait choisir la vérité que nous avons choisie, qui nous a donné le désir de la peindre comme nous l’avons peinte, et c’est toujours ce sentiment-là qui est en faute quand la vérité que nous énonçons se trouve tourner à mal et faire du mal, quand elle devient un tableau de nature à causer d’énervantes excitations ou à donner pâture à de dangereux instincts. Ce que je déplore surtout, c’est le long récit des affaires Gauffridi et La Cadière, — d’autant que cette histoire de la décadence de Satan avait déjà été publiée, en partie du moins, par M. Michelet. Je ne sache rien de plus navrant que ce mélange de sang, de pus, de débauche, d’hypocrisie, de démence et de sottise. C’est à faire désespérer de l’homme. Reproduire de tels récits pour les populariser, c’était de gaîté de cœur donner à son travail l’apparence d’un pamphlet. Toute vérité sans doute est bonne à connaître : je n’en excepte aucune, je n’en redoute aucune; seulement il y a des vérités qui sont faites pour être seulement désignées, constatées, racontées sans émotion et sans imagination. C’est éclairer les autres que d’en donner ridée; mais c’est faire tout autre chose que de s’arrêter devant elles avec son imagination pour les transformer en peintures vivantes, en peintures qui ne s’adressent plus aux intelligences, au public qui fit par besoin de savoir, mais tout au contraire à un public de femmes nerveuses, de jeunes gens travaillés par la fièvre du sang, à un public qui ne fit que pour entretenir sa maladie bien-aimée, et qui est sûr de ne retirer du livre que les espèces d’émotions qu’il y a cherchées. Sans doute il y a beaucoup à pardonner à une idée neuve dans son premier feu, dans son effort pour se produire au dehors. Sans doute surtout il faut se rappeler que l’auteur est un homme qui, pour toutes ses idées de toute nature, n’emploie que le langage figuré de l’imagination; aussi voudrais-je le plus possible mettre M. Michelet lui-même hors de cause. Pour autant, à l’égard de l’œuvre au moins, le fait reste : elle cause une impression malsaine. En fermant le livre, il semble qu’on sorte d’un cauchemar, et l’on se demande : Est-ce bien là l’enseignement que réclamait l’état des esprits, la leçon qu’un homme désireux d’être utile eût pu vraiment regarder comme la plus salutaire?


J. MILSAND.