Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité j’ai grand’peur que nous ne soyons d’une monstrueuse ingratitude envers le moyen âge. En nous arrêtant à ses fautes avec je ne sais quel orgueil, en l’accusant d’avoir retardé l’avenir de trois siècles, je crains que nous ne lui reprochions comme des crimes les douloureuses épreuves qu’il a subies pour nous éclairer nous-mêmes, la crise de maladie qu’il a supportée pour nous débarrasser d’un mauvais principe dont l’homme ne peut être délivré que par la douleur. Ces trois siècles et même ceux qui les ont précédés prennent ainsi un intérêt bien tragique et bien attendrissant. L’amour de la vérité ne pouvait naître sans enfanter le désir de la posséder; le besoin d’être assuré de la posséder devait naturellement entraîner à chercher une autorité et à s’imaginer qu’on avait trouvé une autorité capable de la fixer. Ce que le zèle de la vérité peut rapporter à l’humanité de force, de grandeur, de justice, l’humanité était condamnée à ne le recueillir qu’après être tombée d’abord dans les égaremens, les injustices, les démences que la sottise naturelle pouvait faire sortir de cette donnée précieuse. L’éruption a eu lieu au moyen âge, sachons en profiter; mettons tous nos soins à conserver le fruit de ce laborieux apprentissage en évitant de nous méprendre sur le principe d’intolérance qui a réellement alors démontré sa malice; tâchons d’apprendre quelle est cette erreur pour que nous ne soyons pas exposés au danger de la transporter ailleurs.

C’est contre ce danger que M. Michelet n’a pas pris assez de précautions. Moins encore par les accusations qu’il porte que par les réserves qu’il ne fait pas et par les passions qu’il flatte, je doute que la Sorcière serve la cause du vrai, qu’elle contribue à rendre les lecteurs plus sages, plus éclairés. Ce livre, si remarquable par les aperçus originaux qu’il renferme, me semble une fâcheuse action. Il est fait pour laisser dans les esprits une antipathie de plus et une conviction de moins, c’est-à-dire pour les appauvrir et leur enlever un principe de vie. M. Michelet détruit et ne met rien à la place, car sa conclusion, je ne puis l’accepter comme une conclusion : elle manque trop de substance et de forme. Loin de serrer et de tirer au clair sa pensée pour la rendre plus satisfaisante à son esprit, il aime à la laisser à l’état gazeux, où elle se prête mieux à ses désirs. A lire nombre de passages de son œuvre, on aurait presque lieu de s’écrier : Est-il donc pour le paradoxe de M. Proudhon, pour le culte du diable? Pas tout à fait, mais certainement il est pour la sorcellerie et le satanisme au même titre que pour la réforme, pour la renaissance, pour Voltaire et Rabelais, pour la justice égale envers tous, sans acception de culte, ou pour le vieux paganisme et le néo-paganisme, sans excepter les sensualités qui ont éclaté au milieu de ce réveil des désirs. Bonnes ou mauvaises, compatibles ou non avec une religion mieux entendue, toutes