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Le penchant ou tout au moins l’indulgence pour l’absolutisme est le péché politique de l’église. On dit qu’elle s’en repent ; Dieu le veuille ! Puisse-t-elle enfin, écoutant une voix qui lui est chère[1], proclamer du fond du cœur les trois principes de 1789, l’égalité civile, la liberté politique et la liberté de conscience ! Le père Lacordaire a raison, c’est le programme de vie.

Mais pour répéter cette parole il faut renoncer aux déclamations, aux anathèmes contre la raison, contre les idées du siècle, aux chants de triomphe entonnés toutes les fois que l’humanité succombe dans une noble cause, aux menaces et aux outrages prodigués à l’enthousiasme ou à l’espérance, toutes les fois que ces sentimens sont inspirés par un progrès que le moyen âge n’a pas connu. Si l’église, avec le fonds de nobles croyances et la tradition de vertus sévères qu’elle a reçus à son origine, pouvait jeter jamais, comme un trompeur déguisement, cette prétention au privilège arrogant d’infaillibilité qui rend son présent solidaire de son passé, quelle fortune pour le genre humain ! quel renfort inespéré à la civilisation du monde ! quelle chrétienté nouvelle dans l’ancien christianisme !

Combien peu malheureusement parmi les organes de la foi renaissante ont paru près de tenir ce langage ! Et par un triste concours d’imprudences, tandis qu’un zèle aveuglé semblait insulter aux principes et aux créations de la politique libérale, le même mépris venait d’ailleurs, et d’un côté d’où on ne l’attendait pas. La littérature, par de tout autres raisons, tombait dans un travers qui pouvait avoir les mêmes conséquences. Des écrivains, eux qui se disent aussi les précepteurs du genre humain, commettaient la faute, chez eux bien moins excusable, de souffler parmi nous l’ignorance et le mépris de la liberté.

Je suis grand admirateur du talent, et je reste peut-être en-deçà de ma pensée en disant qu’il a été départi à notre âge dans une aussi large mesure qu’à aucun autre. La littérature contemporaine ne me trouvera donc point parmi ses détracteurs ; mais elle souffrira qu’on lui dise qu’elle a été depuis plus de vingt ans, et surtout la littérature d’imagination, étrangement inspirée : non que je vienne lui répéter le banal reproche d’avoir miné les bases de la société. Je

  1. « En 1789, la France se leva tout entière en faveur de trois principes qu’elle n’a jamais abandonnés depuis l’égalité civile, la liberté politique et la liberté de conscience. Les deux tiers de l’Europe en soixante-dix ans ont accepté de la France cet ordre d’idées et ce programme de vie. Voilà le fait. Les gouvernemens qui s’y sont conformés sont des gouvernemens nouveaux ; ceux qui ne les ont pas admis sont des gouvernemens d’ancien régime. Rome est dans ce dernier cas ; mais est-il impossible qu’elle se modifie dans le sens qui prévaut en Europe et entraîne l’esprit humain ? Ses ennemis l’affirment. Que ceux-là le disent qui croient à la mort du christianisme ! » (De la Liberté de l’Italie et de l’Église.)