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élever les palissades formant l’enceinte de la ferme, de doubler les barres des portes et des fenêtres, et d’ouvrir des meurtrières dans les volets.

En même temps qu’on organisait la défense, on songeait surtout à l’attaque, et quelques hommes sûrs, parmi lesquels étaient Beppo et Branco, furent détachés pour surveiller les démarches de l’en- nemi et pour tenir Gambini au courant de ce qui se passait chez les Paolesu. Un soir, Branco vint en toute hâte annoncer que le lendemain les cinq frères devaient procéder au partage entre eux de la tança et des champs de la macchia secca, dont la mort de leur oncle, décédé quelque temps auparavant sans héritiers directs, les avait mis en possession. Tous les hommes de la famille Paolesu devaient donc arriver ensemble à la tança.

Ici je rendrai la parole à Gian-Gianu, dont j’ai jusqu’à présent résumé le récit. Je fus si frappé de l’accent de profonde tristesse et de calme sérénité avec lequel il termina ses révélations confidentielles que ses expressions sont restées ineffaçablement gravées dans ma mémoire.

« Le lendemain, me dit-il, avant l’aube, Gambini, Beppo, qui avait été prévenu, et moi, nous étions rendus au casotto, à l’endroit même où je vous parle. Ignorant si les Paolesu viendraient avec une escorte, nous avions placé quatre de nos hommes bien armés dans le bois de chênes, mais en leur recommandant expressément de n’accourir que sur notre appel et au bruit des coups de feu. Nous grimpâmes, au moyen d’une perche, sur le toit du casotto, du côté opposé à celui où devaient arriver les cinq frères, et nous nous couchâmes à plat ventre. L’arête du toit est couronnée, comme vous pouvez vous en assurer en vous éloignant de quelques pas, d’une crête de tuiles. Si nos têtes venaient à dépasser quelque peu la ligne de l’arête, elles devaient se confondre de loin avec les ondulations de ce revêtement.

« Vers cinq heures, les frères Paolesu parurent sur la route de Monteleone. Ils étaient suivis de deux domestiques, armés comme eux de fusils et portant en croupe quelques instrumens d’arpentage. Ils se trouvaient ainsi sept hommes en tout. Ne soupçonnant pas que nous fussions informés de leur venue, les Paolesu avaient jugé inutile de prendre une plus nombreuse escorte. Arrivés devant le casotto, ils mirent pied à terre et allèrent attacher leurs chevaux aux anneaux du mur latéral. Une distance de quelques pieds nous séparait à peine. Nous nous penchâmes sur le rebord du toit, et déchargeâmes presque à bout portant trois de nos pistolets. Trois des frères tombèrent. Épouvantés par cette brusque attaque, les deux autres reculèrent; ils n’avaient pas fait dix pas, qu’ils tom-