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porte du madao surveillant le dehors et prêts à servir au dedans. Quelques instans après, Sercomin appela d’un signe tout le monde près de lui. L’anxiété de Gian-Gianu était plus poignante encore que celle de Beppo, mais il n’y avait qu’à obéir aux dernières volontés d’un mourant. Les quatre hommes s’approchèrent en silence du lit.

— Écoutez, dit Sercomin d’une voix faible, mais distincte, et retenez bien mes dernières paroles, dont la justice ne peut manquer de vous demander compte. J’ai vu celui qui a tiré sur moi. Cet homme m’est inconnu; il n’a voulu me tuer que pour me voler.

À cette déclaration si peu attendue, Gian-Gianu échangea avec Beppo un regard de stupeur et de soulagement tout à la fois.

— Beppo, continua le mourant, je te dois d’avoir prolongé ma vie en me relevant là-bas et en me soignant ici. — Et tirant une bague de son doigt : « Accepte ce souvenir d’un ami; il vaut plus que les deux cents écus que tu as empruntés au procureur, et tu pourras les lui rendre. Comme ta présence de ce côté et pendant la nuit pourrait être mal interprétée, je vais écrire pour ta garantie la déclaration que j’ai faite de vive voix tout à l’heure. »

D’une main ferme encore, il écrivit cette déclaration et la signa. — Maintenant, ajouta-t-il, je désire parler à Gian-Gianu seul. Beppo et les bergers se retirèrent et fermèrent la porte du madao.

— A vous, Gian, dit Sercomin, je ne mentirai point, car vous ne trahirez pas celui que je vous nommerai; c’est Gambini qui m’a frappé... Il faut que je laisse un dépositaire de toute la vérité, et je ne pourrais me confier à une personne plus sûre que vous. Ecoutez-moi bien, la fatigue me gagne, et je sens que je n’en ai pas pour longtemps. J’aime Efisa, vous le savez. Lorsque je partis dernièrement pour Oristano, comme elle devait rentrer à Ossano, nous convînmes que je la préviendrais par une lettre du jour de mon arrivée à Villanova, afin qu’elle y revînt elle-même. Ne voulant pas d’intermédiaire entre nous, je devais apporter ma lettre au casotto qui dépend de la ferme d’Ossano. Efisa devait s’y rendre chaque jour et s’assurer en arrivant s’il n’y avait pas de lettre dans un trou à grille volante pratiqué dans le mur de la terrasse pour l’écoulement des eaux. Arrivé à Monteleone l’avant-veille des fêtes du mariage d’Antonia Paolesu, je savais qu’Efisa devait y venir. Néanmoins, comme elle ignorait que j’y serais, je voulus lui écrire pour l’en informer. Au moment de partir pour la terre ferme, je désirais d’ailleurs lui parler sans témoins; j’allai donc cacher un billet à l’endroit convenu. Ce billet ne doit point être parvenu à Efisa. En quelques mains qu’il soit tombé, pour prévenir tout commentaire calomnieux, je veux vous en donner le texte et l’explication.

L’officier s’interrompit alors pour écrire d’une main tremblante les