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DE LA MISSION
DES ECRIVAINS

Dans une occasion récente, un grand poète disait qu’il fallait aimer la presse pour la haine qu’elle inspirait. Ajoutons qu’il faut l’aimer d’un amour sévère et qui ne la flatte pas. Les accusations, les imprécations de ses ennemis ne sont propres qu’à relever son mérite et sa puissance. Ceux qui ont encouru par elle ou avec elle les mêmes inimitiés ne chercheront pas à l’en défendre : ils auraient trop l’air de se justifier ; mais ils peuvent, avec un discernement plus sûr et une conviction plus sincère, se préoccuper des dangers que présentent les mouvemens de la pensée manifestés par les écrits d’une époque, et, sans se mêler de reprocher à la presse politique des méfaits chèrement expiés, s’enquérir du bien et du mal que peut faire la littérature. Il est vrai que celle-ci provoque aussi bien des clameurs hostiles. Des censeurs peu soucieux d’éviter l’exagération et fort sujets à prendre l’effet pour la cause n’ont pas épargné les réprimandes à la littérature contemporaine. Celles qui sont justes n’ont pas besoin d’être redites ; les autres, nous ne saurions les répéter sans hypocrisie. Et d’ailleurs, n’étant pas de ceux qui croient à la nécessité des décadences littéraires, nous ne pouvons nous faire l’écho de leurs plaintes, ni affecter leur découragement. Qu’il soit donc bien entendu que nous ne venons pas nous unir aux critiques qui pensent que les gens dégoûtés sont les seuls gens de goût.

Ainsi ce n’est pas le talent qui nous inquiète. Il ne manque pas, il n’a jamais manqué autour de nous. Il a brillé d’un éclat dont nos yeux sont encore éblouis. C’est l’emploi du talent, c’est la direction qu’il suit et le but qu’il se propose dont nous prenons souci. C’est