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instans congé de nos hôtes. Sur un signe de leur père, deux des jeunes bergers coururent en avant, et au sortir du madao nous trouvâmes nos chevaux tout sellés. Quatre autres chevaux étaient prêts pour les quatre frères, qui voulurent nous escorter jusqu’à un torrent voisin de la cabane. Trois heures après avoir pris congé d’eux en serrant leurs mains si noblement hospitalières, nous découvrions la mer immense, d’un bleu noirâtre, toute scintillante sous le soleil et couverte de petites voiles latines. C’étaient les barques des pêcheurs de corail sardes, toscans ou même napolitains, qui à cette époque de l’année se donnent rendez-vous dans le golfe désert de Porto-Conte et y installent pour quelques mois leur colonie errante.

C’est à Porto-Conte, on s’en souvient, que je devais rencontrer M. Feralli. Près du golfe, Gian-Gianu avait une petite ferme où il semblait impossible d’entrer autrement que par les fenêtres, et où il avait donné rendez-vous à l’armateur génois. Il fallut gravir une pente des plus abruptes, descendre une sorte d’escalier tournant creusé dans le roc, impraticable pour d’autres chevaux que des chevaux sardes, et nous nous trouvâmes à l’entrée d’une cour fort encombrée et fort rustique. Nous étions à la ferme de Gian-Gianu, et huit heures s’étaient écoulées depuis que nous avions quitté Porto-Torres.

Au moment de notre arrivée, des paysans de la ferme et quelques pêcheurs prenaient à l’ombre des oliviers une frugale collation. Des chiens de garde arrivaient sur nous furieux; ils s’empressèrent de les retenir. M. Feralli n’était point encore à la ferme, mais une barque élégante qu’on venait d’apercevoir dans la direction du sud-ouest, vers la pointe del Giglio, semblait être la sienne, et on calculait qu’elle ne tarderait pas à toucher terre. Bientôt en effet on put distinguer deux hommes et trois femmes sous la tente qui couvrait l’arrière du bâtiment. Gian-Gianu me les nomma. C’était M. Feralli, sa femme et leur fille Argenia; puis un ami de M. Feralli, oncle de Gian-Gianu, lo zio Gambini, comme il l’appelait, avec sa fille Efisa. Lorsque la felouque ne fut plus qu’à cent mètres du rivage, elle mit en panne, et les deux hommes descendirent dans un canot qui les conduisit sur la grève, où nous étions ailés à leur rencontre.

M. Feralli n’avait à première vue rien qui frappât beaucoup. Son visage, même attentivement observé, n’exprimait qu’une sincère bonhomie, jointe à cette pénétration que donnent la pratique des hommes et l’habitude des affaires. Son costume était celui d’un riche propriétaire campagnard de la Beauce ou de la Brie. — Excusez-moi, monsieur, me dit-il en s’avançant rapidement vers moi et en me tendant la main. Prévenu trop tard, je n’ai pu aller à