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son maître, le costume des anciens habitans de l’ile : seulement un caban grossier en laine noire remplaçait le collete.

— Nous avions, me dit Gian-Gianu, le choix entre deux routes pour nous rendre à cette petite ville d’Alghero où M. Feralli s’était trouvé retenu. On pouvait gagner Alghero par Sassari ou bien par les montagnes de la Nurra et Porto-Conte. La première route était plus courte et mieux tracée, mais moins intéressante; la seconde, plus pittoresque, nous offrait aussi l’occasion de rencontrer à Porto-Conte M. Feralli lui-même, qui devait faire avec quelques amis une excursion du côté de cette bourgade. De Porto-Conte nous partirions avec M. Feralli pour Alghero sur la barque qui l’avait amené. Il n’y avait pas à hésiter : j’optai pour la route de Porto-Conte.

Quelques minutes après, nous étions en pleine campagne. Devant nous s’étendait une terre fort basse, tantôt aride et rocheuse, tantôt verte jusqu’aux bords de la mer. Çà et là se montraient de pauvres habitations ou quelques bouquets de lentisques. Des aloès et des cactus bordaient les sentiers. Un grand silence régnait sur ces plaines que la fièvre avait dépeuplées. Nous les eûmes heureusement bientôt dépassées. Dès la seconde heure de marche, nous entrions dans des maquis de lentisques et de palmiers nains qu’entrecoupaient des roches de hauteur inégale. Peu à peu les arbres remplacèrent les buissons. Un détour de la route nous conduisit au plus haut gradin d’un amphithéâtre bordé de murailles en pierres sèches que tapissaient des vignes rampantes. Ces monticules, ces gradins, interrompent plus d’une fois la marche du voyageur. Lorsqu’on les descend, on retrouve les étroits chemins ensevelis sous les lentisques, où l’on passe à grand’peine, en croisant de temps à autre une file de bœufs au corps grêle, aux cornes longues et aiguës. Le pâtre, couvert d’une peau d’agneau, se range à votre approche, immobile comme une statue; mais son regard vous suit. Enfin on devine quelque large issue : le chemin couvert devient une gorge. Déjà même apparaissent les lignes bleues des sommets lointains que baigne la lumière. Au débouché de la gorge, on voit sous ses pieds se dérouler une campagne ouverte, pleine de soleil et de vapeurs dorées, et que borne au loin une chaîne de roches grisâtres fièrement découpées sur l’azur du ciel. Cette campagne est la Nurra, qui conserve encore son surnom primitif de « terre des pasteurs. »

Avant d’arriver à Porto-Conte, il fallait descendre dans cette vaste région et la traverser rapidement. Nos chevaux s’engagèrent au galop dans un sentier formant la limite entre deux saltos ou hauts pâturages[1] : ils ne s’arrêtèrent qu’à une cabane située sur la

  1. Les pâturages de plaine se nomment tancas, d’un mot (sans doute celtique) que l’on retrouve dans les Pyrénées et dans la Basse-Bretagne : — tanca, fermer.