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LE
COMTE DE MINERVA
SOUVENIRS DE L’ILE DE SARDAIGNE


I.

Un riche armateur génois devenu propriétaire en Sardaigne m’invitait, il y a peu d’années, à venir passer quelques semaines sur ses terres du Campidano d’Oristano, un des plus sauvages districts de l’île. Je saisis avec empressement l’occasion qui m’était offerte d’observer la vie patriarcale dans un des rares pays de l’Europe où elle trouve encore un refuge. Ces pays, à vrai dire, font le désespoir des voyageurs, et si un hasard heureux ne leur a pas permis de s’asseoir au foyer des habitans, de pénétrer même dans leur vie intime, ils s’éloignent, laissant derrière eux bien des bizarreries, bien des contrastes inexpliqués. Il n’en fut pas ainsi pour moi, et le rapide séjour que je fis au sein de la famille de M. Feralli (c’était le nom de l’armateur génois) m’en apprit plus sur les mœurs sardes que de longues journées de voyage.

C’est au commencement d’avril 1857 que je prenais passage à bord du bateau qui va de Gênes à Porto-Torres, le port septentrional de l’île de Sardaigne. M. Feralli, mon hôte, habitait d’ordinaire Villanova-Monteleone, petite ville séparée de Porto-Torres par huit ou dix heures de marche. Prévenu de mon arrivée, il devait se rendre à Porto-Torres. La nuit approchait quand nous fûmes en vue de la côte sarde, faiblement ondulée, qui s’effaçait de plus en plus dans les ombres croissantes. Un bruit confus venait encore de la terre : c’était le murmure de la vie qui s’éveillait après les chaudes